Le prix de l'hérésie
profiter de l’atmosphère du collège et
tourner mon attention vers mes autres missions.
Le recteur se tenait dans l’entrée de l’étroite ruelle, la
robe trempée, mais souriant affablement. Je serrai le col de ma cape et nous
remontâmes sur quelques dizaines de mètres entre divers bâtiments, jusqu’à ce
que sur notre gauche se dresse une tour massive et rectangulaire. Le recteur
poussa une petite porte de la taille d’un homme, percée à même le grand portail
d’entrée, et la tint pour me laisser passer, ainsi que le domestique qui
portait mon sac.
« Je vais malheureusement devoir vous soulager de votre
dague, docteur Bruno, dit-il d’un air contrit en baissant les yeux sur le
fourreau pendu à ma hanche. C’est l’une des règles cardinales à Oxford, aucun
homme n’est autorisé à détenir d’armes dans l’enceinte de l’université. Nous
prenons soin de la personne de nos élèves autant que de leur esprit et de leur
âme. Ne vous inquiétez pas, elle sera à l’abri. »
Il se força à rire tandis que je sortais la dague à
contrecœur pour la lui donner.
Je le suivis ensuite dans le passage voûté qui filait sous
la tour et débouchait sur une petite cour pavée. En face se dressait une
deuxième tour qui, à en juger par ses immenses fenêtres à meneaux et la
cheminée au centre du toit, devait abriter la grande salle du collège. Du
lierre recouvrait la plupart des façades, sauf les murs à ma droite et à ma
gauche. Aux quatre coins de la cour, les arcades donnaient sur des couloirs ou
des passages où je distinguais des escaliers. Le recteur me rejoignit et ôta
son chapeau dégoulinant pour passer sa main sur son crâne luisant.
« Pardonnez mon allure, docteur Bruno. Ce subit retour
du mauvais temps nous a tous pris de court, au moment où nous pensions voir
l’été commencer. Mais il n’y a là rien que de très habituel en Angleterre. Vous
devez vous languir du ciel bleu de votre pays natal.
— Parfois. Mais je dois dire que le climat du nord de
l’Europe convient mieux à mon tempérament, répondis-je.
— Ah. Vous êtes de nature mélancolique ?
— Comme nous tous, recteur Underhill, je suis un mélange
d’éléments contradictoires. Terre et feu, mélancolie et colère, à parts égales,
j’en ai peur. Mais c’est surtout que la chaleur et le ciel bleu excitent les
hommes. Je trouve plus facile d’écrire quand je ne suis pas tenté. »
Underhill acquiesça d’un air peu convaincu. Il donnait
l’impression d’un homme que rien n’avait excité depuis des années.
« Vous avez raison, il est difficile d’obliger les
jeunes gens à étudier durant les mois d’été. Bien… J’ai fait préparer une
chambre pour vous du côté sud, non loin de mes appartements. »
Il fit un geste vague de la main vers les fenêtres qui se
découpaient dans la façade, près de la grande salle.
« Et juste en face, de l’autre côté de la cour, vous
trouverez notre fameuse bibliothèque. Sentez-vous libre de l’utiliser à votre
guise.
— Possédez-vous beaucoup de livres ? demandai-je
en faisant claquer ma cape pour l’égoutter.
— Quelques-uns parmi les plus beaux que puisse compter
n’importe quelle université », se rengorgea-t-il.
Je lui pardonnai aisément l’orgueil que ses manuscrits
faisaient naître en lui.
« Une majorité d’œuvres de théologie scolastique, mais
Dean Flemyng, le neveu de notre fondateur, a aussi légué à l’université une
remarquable collection de textes littéraires et autres, qu’il avait en grande partie
copiés de sa propre main. Il avait étudié en Italie, voyez-vous, et il a
rapporté beaucoup de manuscrits des quatre coins de l’Occident à la fin du
siècle dernier. »
Mon cœur s’emballa.
« Vraiment ? J’aimerais décidément beaucoup voir
votre collection. Savez-vous si Dean Flemyng s’est rendu à Florence au cours de
ses voyages ? Vers les années 1460 ?
— Sans aucun doute. Un certain nombre de livres de
notre collection portent l’inscription du libraire florentin Vespasiano da
Bisticci, qui travaillait pour Cosme de Médicis, comme vous le savez
certainement. Cette période vous intéresse-t-elle
particulièrement ? »
Je pris une profonde inspiration en essayant de ne pas
laisser paraître mon émoi.
« Vous imaginez bien que tout penseur italien est
fasciné par la bibliothèque de Cosme. À cette époque, il envoyait des
émissaires à travers tout
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