Le prix de l'hérésie
dernière que lui aussi
était resté fidèle à l’ancienne religion. Et pas si secrètement, d’ailleurs,
car on a découvert qu’il possédait des livres interdits et qu’il correspondait
avec les séminaires catholiques en France.
— C’est un crime ?
— Si l’on avait prouvé qu’il était au courant de
l’arrivée de prêtres missionnaires venus de France, ou qu’il les avait aidés,
il aurait été bon pour l’échafaud. Mais il n’y avait pas de preuves contre lui
sur ce point, seulement des rumeurs, et on n’a pu tirer de lui aucune
confession pendant les interrogatoires.
— A-t-il été sanctionné ?
— Il a eu la vie dure lorsqu’on l’a soumis à la
question, mais son châtiment a été léger, eu égard aux circonstances, dit le
recteur en passant sa langue sur ses lèvres. Le comte était scandalisé, comme
vous pouvez l’imaginer. On a immédiatement retiré son poste à Allen, cependant
le comte, dans sa clémence, lui a offert de quitter le pays, sans droit de
retour sous peine d’emprisonnement. Il est parti en France et s’est installé au
Collège anglais de Reims.
— Le séminaire de Reims ? J’en ai entendu parler.
Il a été fondé par William Allen, n’est-ce pas ?
— Un cousin à lui, oui. C’est l’une de ces vieilles
familles catholiques. Mais le fils d’Edmund Allen, Thomas, que vous avez eu
l’infortune de rencontrer à l’instant, était alors dans sa première année
d’étude ici. Il n’a pas suivi son père dans son exil, il souhaitait achever ses
études. Cependant, ils étaient nombreux à l’université à considérer qu’on
aurait dû le renvoyer après la disgrâce de son père.
— Cela paraît sévère de punir le fils pour les
croyances du père. Les partage-t-il ?
— Comment en être sûr ? Tout élève doit prononcer
le serment de fidélité et reconnaître Sa Majesté comme chef de l’autorité
religieuse du royaume, mais vous savez aussi bien que moi qu’un homme peut
signer un document d’une main tout en portant dans son cœur des convictions
différentes. On a durement interrogé Thomas Allen sur ses doctrines, vous
pouvez en être certain. »
Le recteur hocha la tête pour appuyer son propos.
« L’a-t-on torturé ? » demandai-je,
épouvanté.
Il me jeta un regard horrifié.
« Mon Dieu, non ! Nous prenez-vous pour des
barbares, docteur Bruno ? C’étaient de simples questions, même si la
manière n’en était pas plaisante, je l’admets. On l’a acculé sur des points de
théologie auxquels même un docteur aurait eu des difficultés à répondre, et
chaque aspect de ses réponses a été soumis à un examen scrupuleux. Mais
l’expulsion du père ayant provoqué un scandale, il fallait que les autorités de
l’université fassent preuve d’une extrême minutie avec le fils. Nous ne
pouvions nous permettre qu’on nous accuse d’accueillir un papiste dans nos
rangs.
— Sa présence ici indique visiblement qu’il a passé cet
examen avec succès.
— Nous avons finalement décidé qu’il pouvait rester,
mais à ses propres frais. Sa bourse lui a été retirée.
— Sa famille a-t-elle des revenus ?
— Presque rien, car Edmund a dû payer des amendes pour
désobéissance religieuse. Le jeune Thomas fait comme beaucoup d’étudiants
pauvres, il s’acquitte de son dû en vendant ses services de domestique à l’un
des élèves plus fortunés, issus de la bourgeoisie et de la noblesse, qui paient
pour étudier ici. »
Son rictus méprisant me fit comprendre dans quelle estime il
tenait ces étudiants.
« Alors ce Thomas est d’abord élève ici, fils du
sous-recteur, et l’instant d’après il vit des miettes que lui accorde l’un de
ses amis. Un revers de fortune accablant pour n’importe quel homme, surtout si
jeune.
— Ainsi va le monde, répondit pompeusement le recteur.
Mais l’affaire est triste. Le garçon est brillant et il était toujours d’humeur
joyeuse. Il aurait fait du chemin dans le monde. Maintenant, vous avez vu ce
qu’il est devenu. Il écrit sans cesse des pétitions pour que Leicester pardonne
à son père. Il les glisse sous la porte de mes appartements. Je lui ai dit que
j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir auprès du comte, mais cela n’a
réussi qu’à renforcer sa détermination. C’est devenu une obsession, et je finis
par craindre qu’il ne perde l’esprit. J’ai de la compassion pour lui, docteur
Bruno, ne croyez pas
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