Le prix de l'hérésie
grecs à un
riche Anglais.
— Qui ?
— Je l’ignore. Et Vespasiano ne le savait pas non
plus. »
Je baissai les yeux et nous poursuivîmes notre chemin dans
un silence contemplatif.
Ici se terminait l’histoire de Pietro. Son grand-père,
ajoutait-il, ne pouvait rien dire d’autre, sinon répéter qu’un riche Anglais de
passage à Florence avait acheté le manuscrit et que Vespasiano n’avait jamais
pu remettre la main dessus, bien qu’il ait fait jouer tous ses contacts à
travers la chrétienté jusqu’aux derniers jours de sa longue vie, à la fin du
siècle passé. C’était une piste bien maigre pour démarrer mes recherches, j’en
étais conscient. Les collectionneurs anglais d’antiquités et de livres rares
étaient nombreux à voyager en Italie à cette époque, et il n’existait aucun
moyen de découvrir si l’homme qui avait acquis ce livre par hasard l’avait
revendu ou simplement livré à la poussière dans quelque recoin d’une
bibliothèque, sans réaliser ce que la fortune lui avait mis entre les mains.
« Et pourquoi crois-tu qu’il soit à Oxford ? me
demanda Sidney au bout d’un moment.
— Par déduction. Les collectionneurs anglais qui
voyageaient sur le continent au siècle dernier étaient instruits, et j’ai cru
comprendre qu’en Angleterre la coutume veut que les hommes fortunés lèguent
leurs livres à leur université, puisque peu d’entre eux peuvent se permettre
d’entretenir des collections privées comme ton docteur Dee. Si le livre
d’Hermès est parvenu en Angleterre, il se peut qu’il ait fini à Oxford ou à
Cambridge. Je peux au moins regarder.
— Et si tu le trouves… » commença Sidney, mais il
fut interrompu par le hennissement de son cheval qui fit une embardée.
Deux enfants venaient d’apparaître sans prévenir au milieu
de la route. Nous arrêtâmes brusquement nos chevaux et le palatin et ses gens
faillirent nous rentrer dedans comme nous baissions les yeux sur deux gamins en
guenilles, une fillette d’environ dix ans et un garçon plus jeune, tous deux
pieds nus dans la boue. La joue droite de la fille était d’une blancheur
cadavéreuse, en dehors d’une ecchymose violette. Elle tendit sa petite main,
paume en l’air, et s’adressa à Sidney d’une voix implorante, quoique dans son
regard se lût l’insolence à l’état pur.
« L’aumône, messire, pour deux pauvres
orphelins ? »
Sidney secoua silencieusement la tête, comme s’il regrettait
l’état du monde, et porta la main à sa bourse. Il en sortait une pièce pour la
fillette lorsque dans notre dos se fit entendre un cri aigu. Je pivotai et vis
l’un des domestiques du palatin jeté à bas de son cheval par un homme à grosse
panse qui avait surgi en silence, avec trois comparses, du couvert des arbres.
Affolé, le palatin émit un bref glapissement. Puis, reprenant ses esprits à une
vitesse remarquable, il lança son cheval au galop et passa en trombe entre
Sidney et moi. Dans sa course effrénée, il faillit écraser les deux enfants qui
se jetèrent dans les broussailles et eurent à peine le temps de le voir
disparaître au tournant. Je sautai de selle et tirai la dague de Paolo de ma
ceinture en m’élançant contre un de nos assaillants. Celui-ci cognait sur le
deuxième domestique avec un gros bâton de bois pour le faire chuter. Après un
court moment d’hésitation, Sidney mit pied à terre et dégaina son épée en
avançant vers les hommes qui essayaient de couper les liens des sacoches.
J’attrapai mon adversaire par le bras, il se mit à beugler
et à me frapper. Je parai ses coups pour laisser au domestique le temps de
lancer son cheval et de se mettre hors de portée. Un autre de nos agresseurs
fondit sur moi avec un coutelas grossier et il réussit à me toucher à la jambe
alors que j’essayais de le chasser à coups de pied. Outré, je me laissai tomber
à terre et progressai en rampant vers lui, ma dague à la main, mais, captant un
mouvement du coin de l’œil, je fis volte-face et m’aperçus que l’homme
corpulent brandissait son bâton avec l’intention de m’assommer. Je tendis mon
arme et l’enfonçai sous le bras, dans la partie charnue. Il poussa un hurlement
de douleur, son bras s’affaissa contre son flanc, et il plaqua son autre main
sur la blessure. Je profitai de sa défaillance pour frapper à nouveau, la main
qui tenait le bâton cette fois. Celui-ci tomba au sol avec un bruit sourd
tandis que je me
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