Le prix de l'hérésie
et les invités se levèrent, prenant congé avec force compliments au
recteur pour la nourriture, qui à ce que je comprenais avait été bien
supérieure à l’ordinaire du réfectoire du collège. Puis, un à un, ils me
serrèrent chaleureusement la main, me souhaitant encore une fois la bienvenue à
Oxford et une bonne nuit de sommeil avant la grande disputation du lendemain
que tous, dirent-ils, attendaient avec impatience. Richard Godwyn m’invita à
venir à la bibliothèque quand je le voudrais, ce dont je le remerciai. John
Florio exprima en un italien parfait le désir très vif qu’il avait que nous
passions du temps ensemble avant mon départ, et même le docteur Bernard se leva
en tremblant et serra mes doigts entre ses mains noueuses.
« Demain soir, sorcier, dit-il en affichant un sourire
édenté, vous contredirez leurs pieuses certitudes et je serai au premier rang
pour vous applaudir. Non parce que je soutiens vos idées hérétiques, mais parce
que j’admire les hommes qui n’ont pas peur. Il en reste trop peu ici. »
Il jeta un coup d’œil au recteur, qui affecta de ne pas
l’avoir entendu. Seul Slythurst ne se donna pas la peine de me saluer. Il se
contenta de m’adresser un signe de la tête en franchissant la porte, et encore,
parce que je venais de surprendre son regard glacial posé sur moi. Je sentais
qu’il ne m’aimait pas, mais m’efforçai de ne pas le prendre comme un affront
personnel. Je m’aperçus d’ailleurs qu’il ne souhaitait pas davantage bonne nuit
à ses confrères, et en déduisis qu’il faisait partie de ces hommes, assez
courants chez les universitaires, incapables d’adopter des manières agréables
en société.
Lorsque je pris congé de Sophia, celle-ci me tendit
timidement la main et je la baisai avec respect sous le regard vigilant de son
père, lequel fut soudain distrait par le docteur Bernard qui cherchait frénétiquement
son manteau. Pendant que le recteur lui assurait qu’il était venu sans, Sophia
se rapprocha de moi et posa sa main sur mon bras.
« Docteur Bruno, j’aimerais beaucoup poursuivre la
conversation que nous avions tout à l’heure. Vous vous en souvenez ? Le
livre d’Agrippa ? Quand la disputation aura eu lieu, peut-être aurez-vous
davantage le loisir de discuter. On peut souvent me trouver à la bibliothèque
du collège, précisa-t-elle. Mon père me permet d’y lire le matin et en début de
soirée, quand la plupart des élèves assistent à des cours magistraux ou à des
disputations.
— Afin que vous ne les distrayiez pas de leurs
livres ? » glissai-je avec malice.
Elle rougit et m’adressa un sourire modeste.
« Mais vous viendrez ? Il y a tant de choses que
j’aimerais vous demander. »
Elle leva vers moi des yeux où se lisait une urgence
surprenante et sa main s’attarda sur mon bras. J’acquiesçai au moment où son
père apparut derrière son épaule pour poser un regard inquisiteur sur moi. Je
lui serrai la main, le remerciai pour le repas et souhaitai bonne nuit au reste
de l’assemblée.
Je fus heureux de me retrouver dans la fraîcheur du couloir.
La pluie avait cessé et l’air nocturne me fit du bien après la chaleur lourde
des appartements du recteur. Je me dis qu’il serait agréable de marcher dans le
jardin afin de m’éclaircir l’esprit et de digérer avant de me retirer, mais, en
atteignant le bout du passage, je vis que la grille était fermée. J’essayai de
tourner l’anneau qui servait de poignée et découvris que la serrure était
verrouillée.
« Docteur Bruno ! » m’appela-t-on dans mon
dos.
Je me retournai et vis Roger Mercer qui arrivait par
l’escalier. Il avança de quelques pas dans ma direction.
« Vous vouliez faire un tour dans le jardin ?
— Ce n’est pas permis ?
— C’est réservé aux professeurs. Seul le recteur et
nous en avons la clé. Il est fermé à clé la nuit afin d’éviter que les élèves
ne l’utilisent pour des rendez-vous inconvenants. Ils trouvent sans doute
d’autres endroits, s’ils arrivent à filer par l’entrée principale, ajouta-t-il
avec un sourire indulgent.
— Ils n’ont pas le droit de sortir le soir ?
demandai-je. C’est un confinement austère pour des jeunes gens dans la fleur de
l’âge.
— Le but est de leur apprendre à se discipliner,
expliqua Mercer. Néanmoins, la plupart d’entre eux trouvent le moyen de
contourner les règles. Je n’en faisais pas moins à leur âge. »
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