Le prix de l'hérésie
anciennes croyances.
— Je crois qu’à l’approche de la mort le destin de son
enveloppe charnelle l’inquiète moins que celui de son âme. Peut-être que si
nous sentions la mort imminente, nous choisirions d’agir autrement, mais hélas,
tant que nous respirons, nos craintes vont d’abord à notre pauvre chair, si
faible, et à notre position en ce monde.
— Il en va peut-être ainsi. Mais c’est le fils qui
semble en souffrir le plus, fis-je observer.
— Vous avez rencontré Thomas ? Le pauvre garçon…
C’est un étudiant très doué, vous savez. Du moins, il l’était. Je le connais
depuis qu’il est arrivé à Oxford, alors qu’il n’avait que quinze ans. Avant de
partir pour Reims, son père m’a chargé de veiller sur Thomas comme sur mon
enfant en son absence. Edmund comprenait pourquoi j’ai agi comme je l’ai fait.
Il m’a pardonné. Mais Thomas, lui, ne me pardonne pas le rôle que j’ai tenu
lors du procès de son père. J’ai essayé de l’aider, je lui ai offert des
cadeaux et de l’argent, dans la mesure de mes moyens, mais il préfère
s’humilier à faire l’esclave pour ce jeune coq de Norris que d’accepter un
penny. Quand je le croise dans la cour, il ne me salue même pas, et je sens la
haine qui brûle en lui comme une fournaise.
— C’est dur, admis-je. Mais il est jeune, et les
passions de la jeunesse sont souvent aussi brèves qu’ardentes. Peut-être vous
pardonnera-t-il avec le temps. »
Je m’inclinai pour le saluer et m’apprêtai à me diriger vers
ma chambre, pressé de travailler avant qu’il fut trop tard, mais Mercer fit un pas
en avant et prit ma main entre les siennes.
« J’espère que nous aurons l’occasion de parler
davantage, docteur Bruno, dit-il. Je suis vraiment heureux de vous avoir
rencontré, et j’espère n’avoir pas paru trop moralisateur dans mon discours ce
soir, lorsque nous parlions d’Agrippa et des traités hermétiques.
— Oh, je suis habitué à la désapprobation.
— Vous m’avez mal compris. Le recteur est un homme
pieux et, comme je vous l’ai dit, il peut être sévère à ses heures. À sa table,
il est prudent pour ceux dont la position ne tient qu’à sa faveur d’exprimer
des vues qui correspondent aux siennes. Mais j’ai de longue date un grand
intérêt pour ces travaux. En tant que savant, je veux dire, car je pense qu’on
peut étudier les philosophies occultes sans parti pris et demeurer un bon
chrétien. N’êtes-vous pas d’accord, docteur Bruno ?
— C’est ce que pensait Ficin, répondis-je. Et j’espère
qu’il avait raison, docteur Mercer, sinon je suis damné.
— Je vous en prie, appelez-moi Roger, dit-il avec
effusion. Bien, j’attends avec impatience notre prochaine discussion sur ce
sujet. »
Là-dessus, il me salua et traversa la cour. Je partis vers
ma chambre au moment où de grosses gouttes de pluie se mettaient une fois de
plus à tomber.
CHAPITRE 4
Je relus et révisai mes notes jusqu’à ce que ma bougie
s’éteigne, après quoi je dormis à poings fermés. La chambre était froide, la
pluie battait contre les vitres et les poutres craquaient. C’est ainsi que
lorsqu’un grand bruit me surprit après un court sommeil, je ne compris pas tout
de suite si c’était déjà le matin ou seulement le produit d’une illusion due à
mes rêves agités. Peu à peu, néanmoins, comme le tapage se prolongeait, je
constatai en ouvrant à demi les yeux que l’aube n’était pas encore venue.
M’éveillant tout à fait, je me rendis compte alors que le vacarme infernal du
dehors venait d’un chien qui aboyait frénétiquement. Je resserrai la couverture
autour de moi, maudissant le recteur ou celui qui avait eu l’idée de garder un
animal aussi ombrageux dans l’enceinte du collège, et me pelotonnais dans le
lit lorsqu’un deuxième cri se joignit aux jappements bestiaux, un cri que je
n’ai jamais oublié et que j’entends encore parfois en rêve. C’était le
hurlement à glacer les sangs d’un être humain pris d’une terreur mortelle et
souffrant mille douleurs, et ce cri d’agonie s’éleva en même temps que les
aboiements de la bête devenaient de plus en plus forts et sauvages.
L’horreur de ces deux hurlements combinés dissipant les
dernières vapeurs du sommeil, je pris conscience que quelqu’un, en bas de mes
fenêtres, craignait pour sa vie. Peut-être était-ce un malfaiteur surpris par
un chien de garde, mais je ne pouvais
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