Le prix de l'hérésie
établi.
— Il n’y avait pas que les livres, dit Godwyn en
baissant la voix. Il était soupçonné de servir de messager pour son cousin,
William Allen, au Collège anglais de Reims. Ils l’ont emmené à Londres pour
l’interroger, c’est-à-dire pour le mettre à la question, mais il n’a pas dit un
mot et finalement ils l’ont envoyé à l’étranger. Pauvre Edmund. »
Il secoua tristement la tête et vida son verre.
« J’ai rencontré son fils aujourd’hui, annonçai-je en
prenant un morceau de pain.
— Dans ce cas, je vous plains, dit Coverdale en
haussant les sourcils. Je suppose qu’il vous a supplié de porter une requête à
la Cour pour obtenir le pardon de son père. » Sans attendre ma réponse, il
fit claquer sa langue et poursuivit froidement. « On n’aurait jamais dû
autoriser ce garçon à rester après la disgrâce de son père. Thomas Allen
nourrit des pensées dangereuses, écoutez bien ce que je vous dis. Mais je n’ai
pas pu convaincre le recteur de suivre mes conseils, il est trop tendre avec ce
garçon. »
Je ne pus m’empêcher de penser que si la façon dont le
recteur traitait Thomas Allen prouvait sa tendresse à son égard, alors la vie
du garçon devait être rude.
« Une fois de plus, je vous rappelle que notre éminent
invité n’a sans doute pas fait tout ce voyage pour nous entendre nous lamenter
sur les problèmes du collège. »
Slythurst avait prononcé ces mots d’une voix glaciale. Il
ramena une mèche de cheveux derrière son oreille et, souriant de toutes ses
dents, se tourna vers moi.
« Docteur Bruno, parlez-nous de vos voyages à travers
l’Occident. Je crois savoir que vous avez enseigné dans plusieurs des plus
célèbres universités du continent. Comment trouvez-vous Oxford, en
comparaison ? »
Lui retournant son sourire avec la même absence de
sincérité, toute la fin du repas, qui se poursuivit par de la pâte d’amandes et
des fruits confits tandis que la lumière des chandeliers baissait peu à peu, je
leur racontai mes années d’errance, laissant de côté tout ce qui pouvait passer
pour politique, et flattai subtilement mes nouveaux compagnons en leur servant
ce qu’ils voulaient entendre, c’est-à-dire qu’aucune université ne pouvait
rivaliser avec le savoir et la sagesse qui avaient cours à Oxford.
« Combien de temps resterez-vous parmi nous, docteur
Bruno ? demanda Coverdale en se renfonçant dans son siège et en s’essuyant
la bouche pendant que les domestiques débarrassaient les couverts.
— Je crois que le palatin avec qui je voyage a prévu de
rester une semaine, l’informai-je.
— Dans ce cas, j’espère que vous nous accompagnerez à
la chapelle du collège. Le recteur y délivre une série de sermons d’une grande
érudition sur les Actes et monuments de John Foxe. Les
connaissez-vous ?
— Le Livre des martyrs ? Naturellement,
répondis-je en me disant que c’était peut-être une sorte d’épreuve. On
considère souvent que c’est un chef-d’œuvre.
— L’admiration du docteur Bruno n’est sans doute pas
aussi profonde, j’en ai peur, dit Slythurst en regardant ses confrères. Je n’ai
jamais rencontré de catholique qui admirât les récits terrifiants de Foxe sur
les sévices subis par les protestants.
— Ne donne-t-il pas aussi des exemples de martyrs des
premiers siècles, lorsque les chrétiens souffraient entre les mains des païens et
des impies, avant que nous ne commencions à nous persécuter entre nous ?
rétorquai-je. Et tout chrétien ne devrait-il pas honorer ces martyrs, dont les
souffrances nous rappellent une époque où nous vivions unis ?
— Telle n’était pas l’intention de Foxe… commença
Slythurst, mais Coverdale lui coupa la parole.
— Bien dit, Bruno. Les croyants des deux bords ont
souffert pour le Christ, et Lui seul sait qui sera à Ses côtés lors du Jugement
dernier.
— C’est bien la première fois que je t’entends te faire
le chantre de la tolérance, James », s’étonna Slythurst en plissant le
front.
Coverdale ignora la provocation.
« Qu’on nous apporte encore du vin ! »
lança-t-il à un domestique en frappant dans ses mains.
Je déclinai le verre qu’on me proposait car je voulais me
pencher sur les notes que j’avais prises en vue de la disputation avant d’aller
me coucher et j’avais besoin de garder l’esprit clair.
Le temps que le repas se termine, il faisait complètement
nuit dehors
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