Le prix de l'hérésie
et je m’aperçus que le débat à venir me mettait dans un
état d’esprit semblable à celui d’un escrimeur savourant par anticipation le
combat avec son adversaire.
Je jetai un coup d’œil à l’estrade à ma gauche et croisai le
regard de Sidney, qui m’adressa un clin d’œil d’encouragement. Affalé près de
lui, les jambes croisées, le palatin se curait les dents avec le pouce et
examinait ce qu’il en extrayait avec plus d’intérêt qu’il ne paraissait enclin
à nous en accorder, à Underhill et à moi. Je remarquai Coverdale, Slythurst et
Bernard assis au centre de la deuxième rangée. Coverdale posa sur moi un bref
regard flegmatique pendant que Slythurst me dévisageait froidement avant de
détourner ostensiblement les yeux. Quant à Bernard, il fit craquer ses doigts
osseux et me salua d’un signe de tête ; je choisis de l’interpréter comme
une marque de soutien. Le recteur Underhill gravit les marches et s’installa
derrière son pupitre, d’où il me toisa d’un regard combatif. La foule assemblée
se tut. Je m’éclaircis la gorge.
Plus tôt dans l’après-midi, à cinq heures moins le quart, un
élève était venu me chercher dans ma chambre pour m’escorter jusqu’à Divinity
School. C’était un jeune homme râblé aux cheveux noirs et à l’air raisonnable,
qui se présenta sous le nom de Lawrence Weston et m’expliqua que le recteur,
parti devant, lui avait ordonné de me conduire au lieu de la disputation.
C’était un geste courtois et je suivis le jeune Weston vers le portail
d’entrée. Alors que nous en approchions, je remarquai deux domestiques qui arrivaient
de l’escalier de la tour en portant un grand coffre en bois. Un autre homme sur
leurs talons avait les bras chargés de livres.
« Ils débarrassent déjà les affaires du docteur
Mercer ? »
Sans remarquer mon ton alarmé, le garçon haussa les épaules
avec indifférence. Dehors, sur St Mildred Lane, nous tombâmes nez à nez avec
Cobbett, qui regardait sa vieille chienne se soulager copieusement contre le
mur du collège.
« Bonjour, docteur Bruno ! me salua-t-il gaiement.
C’est l’heure de votre dispute avec le recteur ?
— Buona sera , Cobbett, répondis-je avant de
désigner le portail d’un geste de la tête. J’ai vu qu’ils vident la chambre de
la tour. »
Cobbett eut un petit rire.
« Ils perdent pas de temps sur c’genre d’affaire, la
chambre est prisée. Le docteur Coverdale veut emménager aussi vite que
possible.
— C’est lui qui va occuper le poste de sous-recteur,
alors ?
— C’est pas officiel, mais pas de risque que ça
l’arrête. Allez, viens, Bessie, on rentre. »
La vieille chienne, ayant terminé, se mit à boitiller avec
difficulté vers le portail.
« Oh, au fait, docteur Bruno, v’là un autre mystère
pour vous, me dit-il en souriant de tous ses chicots.
— Quoi donc ?
— Ce double de clé qu’on m’avait pris dans la loge,
comme j’vous ai dit. Eh ben, maître Slythurst me l’a rapporté ce matin. Il l’a
trouvé dans l’escalier d’la tour, juste à la sortie d’la salle forte, à c’qu’il
dit. Celui qui l’a pris a dû le laisser tomber la veille sans faire attention.
Y a jamais beaucoup de lumière là-dedans. En tout cas, comme ça j’ai un jeu
complet prêt pour l’nouveau sous-recteur.
— Dans l’escalier ? Mais comment se fait-il que le
trésorier l’ait trouvé ? m’enquis-je, curieux de savoir comment Slythurst
avait couvert son mensonge.
— Je suppose qu’il allait à la salle forte. »
Il retourna au portail et l’ouvrit avant de se tourner vers
moi.
« Bonne chance pour votre disputation, messire,
ajouta-t-il. Et que le meilleur gagne. »
Je le remerciai, perturbé par cette nouvelle information. Il
était maintenant presque certain que Slythurst avait bel et bien volé la clé
manquante pour s’introduire dans la chambre de Mercer : s’il s’était
réellement trouvé là pour des raisons officielles, il n’aurait eu aucun besoin
d’inventer de toutes pièces un mensonge pour le gardien.
« Messire, nous… euh… nous devons nous hâter, on vous
attend à cinq heures », me pressa timidement Weston.
Je me passai la main dans les cheveux pour m’éclaircir
l’esprit ; si je continuais à me préoccuper de serrures et de clés, j’aurais
du mal à débattre des lois du cosmos devant tout Oxford.
« Oui, je suis navré. Dépêchons-nous, passez
Weitere Kostenlose Bücher