Le prix de l'hérésie
essayait de me bouffer le cul, répondit abruptement Sidney en
tournant et retournant le livre dans ses mains. Ça ne veut rien dire. Mais ce
calendrier… tu n’en as besoin que si tu corresponds avec quelqu’un dans les
pays catholiques, et en particulier si une rencontre est prévue. Edmund Allen
s’est exilé à Reims, c’est cela ? N’avait-il pas de lien de famille avec
William Allen, qui a fondé là-bas le Collège anglais ?
— Ils sont cousins, semble-t-il. Tu veux dire que
Mercer était peut-être resté en contact avec lui ? »
Sidney regarda autour de lui avant de reprendre la parole,
tout bas.
« Souviens-toi pourquoi nous sommes ici, Bruno. Ces
séminaires à Reims et à Rome sont des casse-tête pour Walsingham en ce moment.
Le Vatican les finance sans regarder à la dépense et ils sont en train de
former des dizaines de prêtres pour les envoyer en mission en Angleterre.
Beaucoup d’entre eux sont des anciens d’Oxford. »
Il lissa sa barbe tout en réfléchissant, puis reprit
l’almanach.
« Ce petit cercle, là, de quoi s’agit-il ?
demanda-t-il en montrant le symbole de la roue inscrit à la date de la veille
sur le calendrier de Mercer.
— Je ne sais pas. Il revient souvent. Je me demandais
si ce n’était pas un code.
— Je l’ai déjà vu, dit Sidney en le scrutant
attentivement, mais je n’arrive pas à me souvenir où. On dirait un de tes
symboles magiques, Bruno. »
Je n’avais pas envie de confirmer, mais l’idée m’avait
traversé l’esprit. Roger Mercer avait discrètement avoué son intérêt pour la
magie. Pourtant, je ne reconnaissais pas le symbole, qui m’intriguait
grandement.
« Ce n’est pas un signe astrologique, j’en suis
certain. Mais ce n’est pas le plus important. Sens l’almanach. »
Sidney le porta à son nez avec réticence.
« Des oranges ?
— Oui. Regarde à la fin. »
Il se livra à un examen attentif, puis leva les yeux en
hochant la tête d’un air admiratif.
« Beau travail, Bruno. C’est un vieux truc, le coup de
l’écriture invisible en utilisant du jus d’orange comme encre. Tu as découvert
un message secret ?
— Oui, codé. J’en ai fait une copie. Tiens. » Je
posai le bout de papier sur la table. « Tu vois ce qui est écrit en
bas ?
— Ora pro nobis. Eh bien… » Sidney plia
soigneusement le papier et me le rendit. « Priez pour nous. Peut-être un
mot de passe ou un signe de reconnaissance.
— C’est ce que je pense. Devrions-nous en informer
Walsingham ? »
Sidney réfléchit un moment, puis décida que non.
« Nous n’avons encore rien à lui dire, sauf que nous soupçonnons
un homme déjà mort d’affiliation catholique. Il ne nous remercierait pas de lui
faire perdre son temps et je préfère m’épargner l’envoi d’un messager vers
Londres tant que nous n’avons pas mieux. Non, je pense que tu devrais continuer
tes recherches aussi discrètement que possible, conclut-il en refermant
l’almanach et en me le rendant. Surtout si, comme tu me le dis, le recteur
Underhill semble désireux d’étouffer l’affaire. Certes, il a été placé par mon
oncle, mais il ne s’ensuit pas nécessairement que nous pouvons lui faire
confiance. Il est déjà arrivé au comte de commettre des erreurs de jugement. Au
fait, qui est ce “J” ? Y as-tu réfléchi ?
— Je ne vois que trois hommes dont le prénom commence
par J. John Florio, l’Italo-Anglais, James Coverdale, le surveillant général,
et John Underhill, le recteur. Mais ça ne renvoie peut-être pas à un nom. C’est
peut-être un symbole. »
Sidney hocha la tête d’un air pensif.
« Peut-être. Les sujets de réflexion ne manquent pas.
Mais pour l’heure, mon cher Bruno, dit-il, soudain tout sourires, ne pense qu’à
ta disputation. Il faut qu’Oxford s’ébahisse devant ta nouvelle cosmologie.
Écarte cette affaire de ton esprit. Lizzy ! » appela-t-il.
La patronne tourna la tête dans notre direction. « Je
vais régler. Et prendre une bouteille de votre bière la plus forte pour la
route », ajouta-t-il d’un air débonnaire en comptant les pièces dans sa
bourse.
La femme partie chercher sa commande, il se pencha vers moi
et me glissa à voix basse : « Un petit cadeau à ton intention, pour
amadouer le gardien. Une chose est sûre, les gardiens connaissent tous les
secrets de l’université. Fais-toi l’ami de celui-là et il t’ouvrira toutes les
portes, littéralement. Et
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