Le prix de l'hérésie
remontai
l’allée centrale et pris place aux côtés de Godwyn, qui me salua tout bas. Je
remarquai aussi l’absence de Walter Slythurst et de James Coverdale. Quand tout
le monde fut installé, l’assistance se leva et le recteur s’approcha de
l’autel, suivi de quatre jeunes gens en surplis blanc d’enfants de chœur.
Mon regard croisa celui du recteur. S’il était surpris de me
voir ou se repentait des dures paroles qu’il avait prononcées la nuit passée,
il n’en montrait rien. Penchant légèrement la tête, il se mit à entonner le
Notre Père.
« Ô Seigneur, ouvre mes lèvres, commença-t-il.
— Et ma bouche annoncera Ta louange », répondit
solennellement la congrégation.
Je n’étais pas assez familier avec l’ordre des réponses pour
suivre et je me contentai d’émettre un filet de voix afin d’éviter d’attirer
l’attention sur mes éventuelles erreurs. Godwyn se leva pour lire la première
leçon, tirée de l’Évangile selon Matthieu, après quoi nous nous rassîmes et la
chorale chanta la version pour quatre voix du Te Deum laudamus en
anglais, remarquablement agréable en dépit de sa simplicité.
« Messieurs, la mort soudaine et violente, reprit le
recteur, les yeux fixés sur un point au-dessus de nos têtes, et excluant
apparemment sa femme et sa fille de son discours, a fait irruption hier dans
notre petite communauté. Je sais que cette attaque tragique contre notre cher
ami Roger Mercer, alors qu’il traversait le jardin pour venir prier, a ébranlé
tous les cœurs. Et je sais aussi que quand un accident aussi terrible survient,
il peut arriver que l’esprit s’enflamme et qu’on se laisse aller à des
hypothèses folles. »
Il me jeta un regard appuyé, mais si rapide qu’on ne dut pas
le remarquer. Le docteur Bernard fit craquer ses articulations noueuses, et le
bruit résonna dans toute la chapelle.
« Au lieu de colporter des rumeurs infondées,
poursuivit le recteur d’une voix qui donnait l’impression qu’il s’adressait à
une foule beaucoup plus nombreuse, nous ferions mieux d’essayer de tirer profit
de cette tragédie en concentrant notre esprit sur la brièveté de la vie au
regard de l’immensité de l’éternité, et en méditant sur notre façon de nous
tenir devant Dieu. Pleurons Roger, c’est notre droit et notre devoir, mais que
sa mort nous oblige à nous interroger : si elle nous frappait aussi
brutalement, l’affronterions-nous assurés de notre propre salut ?
— On dirait presque qu’il s’attend à une autre
tragédie », murmurai-je à l’oreille de Godwyn.
Bien qu’il fût impossible qu’il m’eût entendu distinctement,
Underhill me foudroya du regard.
« Intéressons-nous maintenant, comme les semaines
précédentes, aux récits que livre maître Foxe des persécutions auxquelles
furent soumis les premiers croyants, eux qui nous ont précédés dans la foi à
l’époque où l’Église était pure. Non pas tant pour nous prosterner devant leur
sainteté, comme le fait l’Église romaine, car c’étaient des hommes et des
femmes pareils à nous, mais pour nous nourrir de leur croyance et mieux
comprendre la longue et vénérable histoire de la souffrance pour le Christ et
de la fidélité à Dieu, dont les martyrs de la Réforme en notre siècle troublé
nous ont donné un autre exemple. En observant aujourd’hui l’histoire d’Alban,
le premier martyr anglais, que chacun se demande s’il croit dans sa chair que
préserver sa foi est le plus grand des bienfaits. Car oui, mes amis,
continua-t-il en se penchant par-dessus son pupitre, de plus en plus lyrique,
nous vivons une époque tumultueuse. Notre Église d’Angleterre est assiégée de
toutes parts par ceux qui voudraient nous ramener dans le giron de Rome. Vous
autres jeunes gens assis devant moi aujourd’hui, vous êtes les futurs chefs de
l’Église et de l’État, et vous n’imaginez pas à quel point vous serez appelés à
vous battre pour les défendre dans les années à venir. Votre détermination
sera-t-elle infaillible, même face à la mort ? Défendrez-vous nos libertés
contre les idolâtres et les tyrans qui veulent nous les arracher ? Je prie
pour qu’il en aille ainsi. »
Sur les bancs derrière moi, un mouvement collectif se fit
entendre et quelques jeunes gens se dressèrent fièrement en réponse à ce cri de
ralliement. Il y avait quelque chose de perturbant dans le sermon d’Underhill.
On y sentait un
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