Le prix de l'hérésie

par
qui. »
    Jetant un coup d’œil à la porte, Underhill me fit de grands
signes pour me demander de parler moins fort. Il ne faisait pas de doute que
cette révélation l’affolait, mais il réussit à se reprendre.
    « Mon Dieu, quelle imagination débridée vous avez, vous
autres Italiens ! s’exclama-t-il avec un petit rire nerveux. J’ai
l’impression que dans la confusion provoquée par l’horrible tragédie de ce
matin, nous en venons à des conclusions hâtives et quelque peu hystériques. Ne
laissons pas notre émotion et notre peine, fort naturelles au demeurant, nous
entraîner dans des interprétations fantaisistes de ce qui n’était qu’un
terrible accident. Quant à ce bout de papier, on dirait plutôt que quelqu’un
joue avec vous en nourrissant votre imagination. Mieux vaudrait ne pas lui
donner satisfaction en mordant à l’hameçon. »
    J’essayai tant bien que mal de contrôler mon irritation.
    « J’ai tout vu de mes propres yeux, recteur Underhill.
J’ai examiné le cadavre de Roger Mercer et la scène de son trépas tandis que
vous vomissiez sur vos chaussures comme une femme. Mon témoignage aura plus de
valeur au cours de l’enquête que le vôtre. »
    Ma virulence le fit tressaillir et il me répondit sur un ton
de franche hostilité : « Ah oui ? C’est ce que vous vous
imaginez ? La parole d’un étranger ? D’un catholique ? Un homme
connu pour pratiquer la magie, qui professe partout que la Terre tourne autour
du Soleil ? »
    Je pris une profonde inspiration et attendis que mon envie
de le frapper décrût avant d’ouvrir la porte donnant sur la salle à manger.
    « Merci de m’avoir accordé de votre temps, recteur. Je
ne vais pas m’imposer plus longtemps.
    — Encore une chose, Bruno. Je ne sais pas quelles sont
vos coutumes en Italie, mais en Angleterre on considère qu’il est inconvenant
pour une dame non mariée de bavarder en privé avec un homme. En conséquence, je
vous interdis d’adresser de nouveau la parole à ma fille. »
    Sur ces mots, il croisa solennellement les bras. Je
m’arrêtai sur le seuil.
    « Avec tout le respect que je vous dois, recteur,
n’espérez pas me donner des ordres comme à un de vos élèves. Mais si vous voulez,
envoyez une gouvernante m’apprendre à obéir. J’en tirerai peut-être quelque
chose. »
    Je lui fis un clin d’œil et claquai la porte derrière moi,
indigné, le cœur cognant contre mes côtes. Adam me tendit mon manteau et me
souhaita bonne nuit avec un sourire condescendant. J’attrapai mes affaires sans
le remercier et me précipitai vers la porte. Si je restais un moment de plus
avec ces gens insupportables, je craignais qu’il n’y eût un autre meurtre
commis ce jour-là.

 
CHAPITRE 8
    Le dimanche matin, je me réveillai avant l’aube et restai
allongé sur l’étroit matelas à regarder jouer sur le plafond les pâles rayons
de la lumière qui passaient par les rideaux entrouverts. J’avais mal dormi. Je
ruminais ma colère d’avoir été traité de cette façon par Underhill et ses
collègues. Au cours de mes longues heures de veille, j’avais décidé qu’il était
inutile pour moi de rester à Oxford, que ce soit pour l’enquête ou pour faire
bonne figure. À la première heure, j’irais chercher mon cheval aux écuries et
repartirais à Londres. J’étais conscient de n’avoir pour le moment rien
découvert qui pût servir à Walsingham. Il n’apprécierait sûrement pas mes
explications à propos de mon humiliation publique et de mon amour-propre
blessé, mais ma présence ici était si inopportune que je ne voyais pas comment
mettre en œuvre son plan, c’est-à-dire gagner la confiance des professeurs et
des administrateurs, et les amener à me confier des informations utiles. Je
soupirai en me tournant dans le lit, les couvertures serrées contre moi pour me
protéger des courants d’air. Mon esprit fut de nouveau aimanté par Sophia.
    Elle avait occupé une bonne partie de mes pensées cette
nuit-là. Une raison de rester aussi bien que de partir… En me remémorant notre
conversation, je me rendais compte que je n’avais pas connu pareille intimité
avec une femme depuis longtemps : la défaillance subite qui l’avait jetée
dans mes bras et le désir qui s’était emparé de moi à cet instant me
déroutaient profondément. Je me demandais si elle avait éprouvé la même
attirance. Pendant que nous discutions, il y avait eu des moments où son