Le prix de l'indépendance
textes.
— Pardon ?
Je suivis son regard et aperçus le pamphlet aux contours brûlés qui dépassait sous un chou. Je le sortis et remarquai effectivement le nom de l’auteur : Maître T. W. Christie, Université d’Edimbourg .
Je le reposai en demandant :
— A quoi correspond le « W » ?
Il cligna des yeux.
— A Warren, répondit-il d’un ton bourru. Mais pour l’amour de Dieu, d’où sortez-vous ?
— Mon père me disait toujours qu’il m’avait trouvée sous une feuille de chou dans le potager, plaisantai-je. Oh, vous voulez dire aujourd’hui ? Du Wilsey Arms.
A mesure qu’il se remettait du choc, son irritation coutumière devant mon manque de bienséance féminine reprenait le dessus et il retrouvait son masque austère d’autrefois.
— Epargnez-moi vos facéties. On m’a dit que vous étiez morte ; que vous et toute votre famille aviez péri dans un incendie.
Phaedre, qui était en train de nous servir nos boissons, déclara d’un air narquois :
— Pourtant, elle n’a pas l’air trop roussie aux entournures, si je peux me permettre.
— Je vous remercie, ce sera tout, rétorqua Christie.
Phaedre me lança un regard amusé avant de s’éloigner.
— Qui vous a raconté ça ? demandai-je.
— Un certain McCreary.
Devant mon absence de réaction, il précisa :
— De Brownsville. Je l’ai rencontré ici, à Wilmington, à la fin janvier. Il revenait des montagnes et m’a parlé de l’incendie. Il a bien eu lieu, non ?
— Oui, en effet.
Je me demandais si je pouvais lui dire la vérité mais ce n’était sans doute pas une bonne idée, en particulier dans un lieu public.
— Ce doit donc être ce M. McCreary qui a fait paraître l’annonce dans le journal… Mais non, c’est impossible.
Selon Roger, l’annonce avait paru en 1776, soit près d’un an avant les faits.
— C’est moi, déclara Christie.
— Vous ! Quand ?
Je bus une grande gorgée de whisky, sentant que j’allais en avoir besoin.
— Dès que j’ai appris la nouvelle. Enfin… quelques jours plus tard.
Pour la première fois depuis que nous nous étions assis, il fuit mon regard.
— La nouvelle m’avait bouleversé. Je ne pouvais imaginer que vous disparaissiez de notre monde, comme ça, sans qu’aucune mention formelle ne soit faite de votre… passage.
Il ajouta, un peu tard :
— Le vôtre et celui de vos proches.
Il prit une profonde inspiration.
— Même si des funérailles en bonne et due forme avaient eu lieu, il était trop tard pour que je retourne à Fraser’s Ridge ; et puis… je n’aurais pas pu. J’ai donc voulu faire un petit geste ici. Après tout… fit-il en baissant la voix et en détournant à nouveau les yeux… je ne pouvais pas aller déposer des fleurs sur votre tombe.
Le whisky m’avait remise d’aplomb mais il m’avait également brûlé la gorge et j’avais d’autant plus de mal à m’exprimer que j’étais très émue. Je tendis la main et touchai brièvement la sienne, puis je m’éclaircis la voix et trouvai un terrain neutre.
— Comment va votre main ?
Il releva les yeux, surpris, se détendit légèrement.
— Très bien, merci. Regardez.
Il retourna sa main droite et me montra la cicatrice en Z en travers de sa paume.
— Laissez-moi voir.
Sa main était froide. M’efforçant de paraître détachée, je la pris, la retournai, pliai ses doigts pour évaluer leur flexibilité et l’ampleur de leur mobilité. Il avait raison ; elle était guérie ; les mouvements étaient presque normaux.
— Je… je fais les exercices que vous m’avez montrés. Tous les jours.
Je relevai les yeux. Il me dévisageait avec une gravité anxieuse, le teint légèrement rougi. Ce terrain n’était pas aussi neutre que je l’avais cru. Avant que j’aie pu lâcher sa main, il saisit mes doigts et les pressa ; pas fort mais suffisamment pour que je ne puisse me libérer sans un effort visible.
— Votre mari…
Il s’interrompit abruptement, n’ayant sans doute pas pensé une seule fois à Jamie jusque-là.
— Il est vivant, lui aussi ?
— Euh… oui.
A son honneur, il ne grimaça pas.
— Je… je suis soulagé de l’entendre.
Il se tut un instant, fixant son cidre intact. Il tenait toujours ma main. Sans relever les yeux, il reprit à voix basse :
— Sait… sait-il ? Ce que… Comment je… Je ne lui ai pas donné la raison de mes aveux. Et vous ?
— Vous voulez dire votre…
Je cherchai une formule appropriée pour présenter la
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