Le prix de l'indépendance
chose.
— … Vos, euh… sentiments galants à mon égard ? Oui, il est au courant et il ne vous en veut pas. Il comprend.
J’ajoutai, un peu acerbe :
— Il est bien placé pour savoir ce que m’aimer signifie.
Il manqua éclater de rire et j’en profitai pour retirer ma main. Cependant, il ne m’informa pas qu’il ne m’aimait plus. Bigre !
— Enfin, nous sommes toujours vivants, conclus-je. Parlez-moi de vous. La dernière fois que nous nous sommes vus…
— Ah !
Il se rembrunit, puis rassembla ses forces et hocha la tête, prêt à se lancer :
— Votre départ plutôt précipité du Cruizer avait laissé le gouverneur Martin sans secrétaire. Découvrant que je n’étais pas totalement illettré, poursuivit-il en esquissant un petit sourire, et que, grâce à vos bons soins, mon écriture était lisible, il m’a fait venir du brick.
Je n’étais pas surprise. Chassé de sa colonie, le gouverneur Martin était contraint de diriger ses affaires depuis la minuscule cabine de capitaine du navire britannique à bord duquel il s’était retranché. Lesdites affaires consistaient exclusivement à écrire des lettres, lesquelles devaient être composées, ébauchées sur le papier, rédigées proprement puis copiées en plusieurs exemplaires, un pour les archives du gouverneur et un autre pour toutes les personnes ou entités concernées par le sujet abordé. Lorsque la lettre devait être envoyée en Europe, il fallait en faire toute une série de copies supplémentaires qui seraient acheminées par différents navires afin que l’une d’elles, au moins, parvienne à son destinataire au cas où les autres couleraient avec le bateau, seraient saisies par des pirates ou simplement perdues en route.
J’avais la main endolorie rien qu’au souvenir de toutes ces heures d’écriture. Les exigences de la bureaucratie à une époque qui ne connaissait pas la magie de la photocopieuse m’avaient évité de moisir en prison ; il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’elles aient sorti Thomas Christie des geôles.
— Vous voyez ? dis-je, satisfaite. Si je n’avais pas opéré votre main, il vous aurait probablement fait exécuter ou, au mieux, expédié sur la terre ferme pour y être emmuré dans un cachot.
— Vous m’en voyez reconnaissant, répliqua-t-il d’un ton caustique. Même si, sur le moment, je ne l’étais pas.
Christie avait passé plusieurs mois comme secrétaire de facto de Martin. Puis, à la fin novembre, un navire était arrivé d’Angleterre, apportant ses ordres au gouverneur ; à savoir reprendre la colonie sans pour autant lui offrir de troupes, d’armements, ni de conseils pour y parvenir. On lui adjoignait cependant un secrétaire officiel.
— Le gouverneur devait donc se débarrasser de moi. Nous… nous nous étions habitués l’un à l’autre, à force de vivre dans des quartiers si exigus.
— En outre, vous n’étiez plus un assassin anonyme. Il ne pouvait pas vous arracher la plume des mains pour vous faire pendre au bout de la grand-vergue. Je sais… au fond, c’est un homme assez bon.
— En effet, dit Christie, songeur. Il n’a pas eu une vie facile, le pauvre.
— Il vous a parlé de ses fils ?
— Oui.
Il pinça les lèvres… non sous l’effet de la colère mais pour juguler ses émotions. Martin et sa femme avaient perdu trois petits garçons, emportés par les épidémies qui avaient ravagé la colonie. D’écouter le chagrin du gouverneur avait dû raviver les plaies de Tom Christie.
— Je… je lui avais parlé un peu de… de ma fille.
Il saisit son cidre et vida la moitié de la chope d’une traite, semblant soudain mort de soif.
— Je lui ai avoué en privé que ma confession était fausse. Naturellement, je lui ai également déclaré que j’étais convaincu de votre innocence et que, si vous veniez à être arrêtée à nouveau pour le même crime, je réitérerais mes aveux.
— Je vous en remercie.
Avec un certain malaise, je me demandais s’il savait qui avait tué Malva. Il devait avoir des soupçons mais cela ne signifiait en rien qu’il voulait savoir, et encore moins savoir pourquoi. Mis à part Jamie, Ian et moi, tout le monde ignorait où était Allan à présent.
Le gouverneur Martin avait accueilli avec soulagement sa déclaration et décidé que la seule chose à faire était de le renvoyer à terre où son cas serait examiné par les autorités civiles.
— Mais il n’y a plus d’autorités civiles,
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