Le prix de l'indépendance
on a lancé un caillou. D’instinct, je saisis son poignet.
— Ne te cache pas, murmurai-je.
Je soutins son regard, l’empêchant d’enfiler son masque.
— … Fais-moi confiance.
Il détourna les yeux le temps de se ressaisir. Il ne se cacha pas. Lorsqu’il se tourna à nouveau vers moi, tout était encore là, au fond de son regard : la confusion, la gêne, l’humiliation et les vestiges d’une douleur longtemps refoulée. Il commença d’une voix saccadée :
— Parfois… je rêve… de choses, de choses qu’on m’a faites contre mon gré. (Il poussa un soupir exaspéré.) Puis je me réveille avec la bite au garde-à-vous et les couilles en feu… et ça me donne envie de tuer quelqu’un, à commencer par moi-même.
Il grimaça avant de reprendre :
— Ça n’arrive pas souvent. Et jamais… jamais je ne chercherai à te prendre en me réveillant d’un de ces rêves. Je tiens à ce que tu le saches.
Je serrai son poignet un peu plus fort. J’avais envie de lui répondre : « Tu pourrais… je ne t’en voudrais pas », car c’était la vérité. Il fut un temps où je le lui aurais dit sans hésiter mais j’en savais beaucoup plus à présent. Si j’avais été à sa place, si j’avais rêvé de Harley Boble ou de l’autre homme au corps lourd et mou et si je m’étais réveillée sexuellement excitée… (Dieu soit loué, cela ne m’était jamais arrivé) non, je ne me serais jamais tournée vers Jamie pour chercher à me purger.
— Merci, dis-je doucement. Merci de me l’avoir dit… et pour le couteau.
Il hocha la tête puis ramassa ses culottes.
— J’aime bien le jambon, dit-il.
20
Je regrette…
Long Island, colonie de New York, septembre 1776
William aurait aimé pouvoir parler à son père. Non pas qu’il aurait voulu que lord John fasse jouer de son influence, certainement pas ! Il aurait juste souhaité quelques conseils pratiques. Mais lord John était rentré en Angleterre et il se retrouvait seul.
Enfin, pas complètement seul. Il était à la tête d’un détachement de soldats gardant le poste de douane à l’entrée de Long Island. Il donna une claque sur son poignet sur lequel un moustique venait de se poser et, une fois n’était pas coutume, le tua. Si seulement il avait pu en faire autant avec Clarewell !
Le lieutenant Edward Markham, marquis de Clarewell, également connu de William et de quelques-uns de ses intimes comme « Ned la Chiffe Molle » ou « le Planqué ». Sentant un chatouillis suspect sur son menton, William s’administra une nouvelle tape, remarqua que deux de ses hommes avaient disparu et se dirigea vers la carriole qu’ils étaient censés inspecter, criant leurs noms.
Le première classe Welch surgit de derrière le véhicule tel un diable à ressort, s’essuyant la bouche d’un air surpris. William se pencha vers lui, huma son haleine et déclara :
— Aux arrêts ! Où est Launfal ?
Ce dernier était dans la carriole, négociant hâtivement avec son propriétaire l’échange de trois bouteilles d’eau-de-vie importées illégalement contre un laissez-passer. William, sanscesser de chasser les hordes de moustiques assoiffés de sang qui arrivaient en masse des marécages voisins, arrêta le contrebandier, appela trois autres membres de son détachement et leur ordonna d’escorter le marchand, Welch et Launfal chez le sergent. Puis il saisit un mousquet et se planta au milieu de la route, seul et féroce, défiant quiconque de passer.
Cependant, alors que la circulation avait été dense toute la matinée, la route était déserte et il eut donc tout loisir de recentrer sa mauvaise humeur sur Clarewell.
Héritier d’une famille très influente qui entretenait des liens étroits avec lord North, Ned la Chiffe Molle était arrivé à New York une semaine avant William et, comme lui, avait été affecté à l’état-major du général Howe. Là, il s’était confortablement fondu dans les boiseries, ne s’en détachant que pour lécher les bottes de Howe (qui clignait des yeux et le dévisageait en se demandant qui il pouvait bien être) et son aide de camp, le capitaine Pickering, un homme vaniteux beaucoup plus sensible à la flagornerie.
Ainsi le Planqué s’appropriait-il toutes les missions les plus intéressantes, accompagnant le général lors de brèves expéditions d’exploration, l’assistant au cours de rencontres avec des dignitaires indiens ou autres, tandis que William et d’autres jeunes
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