Le prix de l'indépendance
répondit William. A votre service, mon capitaine.
En réalité, le calme était très relatif. Mlle Beulah Culper élevait une demi-douzaine de chèvres qui bêlaient nuit et jour ; elle affirmait à William qu’elles éloignaient les intrus du séchoir à maïs. L’une d’elles poussa soudain un bêlement dément, faisant sursauter le capitaine qui en laissa tomber sa blague à tabac. Aussitôt, plusieurs autres biques se mirent à brailler joyeusement, semblant se gausser du poltron.
William ramassa la blague, conservant un visage impassible bien que son pouls se fût accéléré. Richardson ne s’était pas déplacé pour rien.
Le capitaine lança un coup d’œil furieux aux chèvres en lâchant un juron. Puis il indiqua la route.
— Si nous marchions un peu, lieutenant ?
William accepta volontiers.
— J’ai entendu parler de votre petite mésaventure, déclara Richardson en souriant. Si vous voulez, j’en parlerai au capitaine Pickering.
— C’est très aimable à vous, mon capitaine, mais je ne présenterai pas des excuses pour ce que je n’ai pas fait.
Richardson chassa cette idée d’un geste de sa pipe.
— Pickering a un sale caractère mais il n’est pas rancunier. Je m’en occuperai.
— Merci, mon capitaine.
En échange de quoi ?
Richardson reprit sur un ton détaché :
— Il y a ce capitaine Randall-Isaacs qui part ce mois-ci pour le Canada où il doit régler quelques questions militaires. Lors de son séjour, il est possible qu’il rencontre un… certain gentleman qui aurait des informations précieuses à transmettre à l’armée. J’ai de bonnes raisons de penser que ce monsieur maîtrise fort mal notre langue et le capitaine Randall-Isaacs, hélas, ne parle pas le français. Il serait donc… utile qu’il soit accompagné dans son voyage par quelqu’un le parlant couramment.
William acquiesça sans poser de questions. Il serait toujours temps… s’il acceptait la mission.
Ils poursuivirent leur promenade en échangeant des banalités. Une fois revenus à leur point de départ, Richardson déclina poliment l’offre de Mlle Beulah de rester dîner et prit congé en réitérant sa promesse de parler au capitaine Pickering.
Ce soir-là, alors qu’il écoutait les ronflements sonores d’Abel Culper à l’étage au-dessous, William se demanda s’il devait accepter. La lune était pleine et, bien qu’il ne puisse pas la voir dans le grenier sans lucarne, il sentait son appel ; il ne pouvait fermer l’œil les nuits de pleine lune.
Devait-il rester à New York dans l’espoir d’obtenir de l’avancement ou, à tout le moins, de voir un peu d’action ? Ou faire la part du feu et accepter la proposition de Richardson ?
Son père lui aurait sûrement conseillé la première option : un officier avait bien plus de chances de progresser dans sacarrière en s’illustrant au combat qu’en prêtant la main à des activités troubles (et mal considérées) d’espionnage. D’un autre côté, après ses semaines de liberté, la routine et les contraintes de la vie militaire lui pesaient terriblement. En outre, sa mission précédente avait été utile, il le savait.
Quelle différence pouvait faire un petit lieutenant écrasé par ses officiers supérieurs ? Certes, on lui avait confié le commandement d’une compagnie, mais les ordres restaient les ordres et il ne pouvait agir en se fiant à son seul jugement… Il sourit en direction des poutres, à peine visibles trente centimètres au-dessus de lui, en songeant à ce qu’oncle Hal aurait à dire sur le bon jugement des officiers subalternes.
Mais oncle Hal était beaucoup plus qu’un simple militaire de carrière. Il aimait passionnément son régiment, défendant corps et âme son bien-être, son honneur et ses hommes. William n’avait pas encore réfléchi à son avenir dans l’armée. La campagne américaine ne durerait pas longtemps. Que se passerait-il ensuite ?
Il était riche, du moins le serait une fois la majorité atteinte, à savoir très bientôt, même si cela ressemblait à une de ces images tant prisées par son père : une perspective entraînant le regard vers l’infini. Une fois en possession de sa fortune, il pourrait s’acheter une meilleure commission, peut-être un grade de capitaine dans les lanciers… Peu importerait alors qu’il se soit illustré ou pas à New York.
Il lui semblait entendre son père lui rétorquer qu’une réputation dépendait souvent des gestes les
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