Le prix de l'indépendance
petite…
Son visage s’illumina d’un coup.
— Ah, la coquine ! C’est une sacrée petite polissonne ! Elle me fait penser à toi !
C’était un compliment douteux mais il me réchauffa le cœur. J’avais passé des heures à observer Jem et Mandy, mémorisant les moindres détails de leur visage et de leur gestuelle, essayant d’extrapoler, de les imaginer à mesure qu’ils grandiraient. J’étais convaincue que Mandy avait hérité de ma bouche et je savais déjà qu’elle avait la forme de mes yeux.
— Que faisaient-ils ?
— Ils étaient au-dehors. Jem lui a dit quelque chose. Elle lui a flanqué un coup de pied dans le tibia et s’est mise à courir. Il s’est lancé à sa poursuite. Je crois que c’était le printemps. Il y avait de petites fleurs. Elle en avait dans les cheveux et il en poussait plein au pied des pierres.
— Quelles pierres ? m’inquiétai-je aussitôt.
— Oh, non, des pierres tombales. Oui, c’est ça ! Ils jouaient dans le cimetière sur la colline derrière Lallybroch.
J’émis un soupir d’aise. C’était la troisième fois qu’il les voyait en rêve à Lallybroch. C’était sans doute prendre nos désirs pour des réalités mais je savais que de les imaginer vivant à Lallybroch le rendait aussi heureux que moi.
— Ils pourraient très bien y être, déclarai-je. Roger s’y est rendu quand nous faisions des recherches pour te localiser. Il a dit que le domaine était à vendre. Bree doit avoir de l’argent ; ils l’ont peut-être acheté. Oui, ils pourraient fort bien y être !
Il acquiesça avec un sourire, son regard encore adouci par le souvenir des enfants courant sur la colline, se pourchassant entre les longues herbes et les stèles qui marquaient le repos de sa famille.
— Un papillon les suivait, dit-il soudain. Je l’avais oublié ! Un papillon bleu.
— Bleu ? Il y a des papillons bleus en Ecosse ?
Je tentai de battre le rappel de mes souvenirs mais, lors de mes séjours là-bas, il me semblait bien n’en avoir vu que des blancs et des jaunes.
Il me lança un regard teinté d’exaspération.
— C’est un rêve, Sassenach . Si je veux, je peux aussi voir des papillons avec des ailes aux couleurs de mon tartan !
Je ris mais refusai de me laisser distraire.
— Soit, mais qu’est-ce qui t’a dérangé alors ?
— Comment sais-tu que quelque chose m’a dérangé ?
— Tu sais peut-être cacher tes émotions mais je suis mariée avec toi depuis plus de trente ans !
Il ne releva pas le fait que nous n’avions pas été physiquement ensemble pendant vingt de ces trente ans et se contenta de sourire.
— Effectivement. Ce n’est sans doute rien sauf qu’ils sont entrés dans le broch.
— Le broch ?
Je revis la vieille tour perchée sur la colline derrière la ferme, son ombre balayant quotidiennement le cimetière telle la progression majestueuse d’un cadran solaire géant. Jamie et moi y étions montés bien des soirées pour nous asseoir sur le banc au pied du bâtiment. De là-haut, à l’abri du remue-ménage de la grande maison, nous pouvions savourer le paysage paisible du domaine s’étirant en taches blanches et vertes caressées par la lumière du crépuscule.
Il avait repris son air soucieux.
— Le broch… répéta-t-il. Je ne sais pas pourquoi mais je ne voulais pas qu’ils y entrent. J’avais une sensation étrange… comme s’il y avait quelque chose à l’intérieur. Quelque chose qui les attendait et ça ne me plaisait pas du tout.
TROISIÈME PARTIE
Les acrobates de la flibuste
23
Des nouvelles du front
3 octobre 1776
Ellesmere à lady Dorothea Grey
Chère cousine,
Je t’écris à la hâte avant la levée du courrier. Je pars pour un bref voyage en compagnie d’un autre officier à la demande du capitaine Richardson et ignore où je serai dans les prochaines semaines. Tu peux m’écrire aux bons soins de ton frère Adam avec qui je tâcherai de rester en contact.
Je me suis acquitté de la mission que tu m’avais confiée et continuerai de te servir de mon mieux. Transmets mes respects affectueux à ton père et à toute la famille, en en gardant une bonne part pour toi-même.
Ton dévoué cousin,
William
3 octobre 1776
Ellesmere à lord John Grey
Cher père,
Après mûre réflexion, j’ai décidé d’accepter l’offre du capitaine Richardson d’accompagner un officier supérieur en mission à Québec afin de lui servir d’interprète. Le général Howe a donné son
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