Le prix de l'indépendance
rivage qui oscillait au loin.
Il s’empressa de détourner les yeux et se replongea dans sa lettre.
Fergus et sa famille vont bien également mais je dois vous raconter un événement curieux. Un certain Percival Beauchamp…
Il lui fallut une page pour décrire Beauchamp et son étrange mission. Il se demanda s’il devait également mentionner la possibilité d’un lien de parenté avec la famille de Claire puis décida que non. Brianna connaissait certainement le nom de jeune fille de sa mère et ferait automatiquement le rapprochement. Il n’avait aucune information utile à partager sur ce sujet et d’ailleurs sa main commençait à lui faire mal.
Claire se trouvait toujours sur le pont, une main posée sur le garde-corps, fixant l’horizon d’un air songeur. Elle avait noué ses cheveux avec un ruban qui volait au vent, comme ses jupeset son châle. Le tissu de sa robe était plaqué contre ce qui était encore un très beau buste. Il lui trouva une allure de figure de proue, gracieuse et féroce, un esprit protecteur contre les dangers des profondeurs.
Réconforté par cette image, il reprit sa rédaction, le cœur plus vaillant en dépit des informations troublantes qu’il s’apprêtait à confier.
Fergus a choisi de ne pas s’entretenir avec M. Beauchamp, ce que j’ai trouvé sage, et nous avons donc présumé que l’incident était clos.
Lorsque nous étions à Wilmington, je me suis rendu un soir aux docks pour rencontrer M. DeLancey Hall, notre intermédiaire auprès du capitaine Roberts. Du fait de la présence d’un navire de guerre dans le port, le plan était de grimper discrètement à bord du ketch de pêche de M. Hall censé nous mener hors du port pour rejoindre le Teal , le capitaine Roberts préférant garder ses distances avec la marine britannique. (Une attitude courante chez les capitaines, tant des navires privés que marchands, qui s’explique par la présence de contrebande à bord de pratiquement toutes les embarcations et la rapacité de la marine britannique, laquelle n’hésite pas à enlever les membres de leurs équipages – ils appellent cela « l’enrôlement ». Les malheureux se retrouvent enchaînés à vie ou, s’ils se rebiffent, risquent d’être pendus pour désertion.)
J’avais pris avec moi quelques bagages, désireux, sous prétexte de les monter à bord, d’en profiter pour inspecter de plus près le ketch et M. Hall avant de leur confier nos vies. Toutefois, le bateau n’était amarré nulle part et, M. Hall restant invisible, je commençai à me demander si j’avais bien compris ses instructions ou s’il n’avait pas eu maille à partir avec la marine de Sa Majesté, quelques vauriens ou autres flibustiers.
J’attendis jusqu’à ce qu’il fasse nuit et étais sur le point de rentrer à l’auberge quand j’aperçus un petit bateau entrant dans le port avec une lumière bleue en poupe. C’était le signal de M. Hall. Je l’aidai à amarrer son ketch puis nous nous retirâmes dans un estaminet tout proche. Là, il m’informa qu’il s’était rendu à New Bern la veille et que la ville était sens dessus dessous à la suite d’une infâme agression dont avait été victime l’imprimeur, M. Fraser.
D’après ce qu’il m’en a dit, Fergus faisait ses livraisons et descendait de sa carriole quand un homme surgit par-derrière et luienfonça un sac sur la tête pendant qu’un autre lui attrapait les mains pour les ligoter. Fergus se débattit vigoureusement et parvint à blesser un de ses agresseurs avec son crochet. Le mécréant partit à la renverse en beuglant des imprécations (j’aurais été curieux de les entendre pour savoir s’il était français ou anglais mais M. Hall ne disposait pas de cette information). Attelé à la carriole, Clarence (dont vous vous souviendrez sans doute) fut pris de peur et mordit l’autre assaillant. Le premier, découragé par cette résistance acharnée, resta en arrière mais le second se lança à nouveau à la charge. Fergus, toujours aveuglé par le sac et hurlant comme une bête, le frappa à nouveau. Ici, toujours selon M. Hall, les rapports diffèrent. Certains disent que le voyou retint le crochet qui se détacha du poignet de Fergus ; d’autres, que le crochet de Fergus se prit dans les vêtements de son agresseur et fut arraché.
Alertés par le raffut, les clients de l’estaminet de M. Thompson se précipitèrent dans la rue en faisant détaler les bandits. Fergus était
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