Le prix de l'indépendance
chose dans lequel se trouvaient les mots « écossais » et « tête de lard » mais il choisit de ne pas l’entendre. Il avait écrit parce qu’il en avait eu envie. Coucher ses idées sur le papier l’aidait à penser et soulageait un peu son esprit, évitant que les soucis ne s’y accumulent telle la vase retenue par les racines de palétuviers.
Au-delà de ces considérations (non pas qu’il eût besoin d’une excuse, pensa-t-il en fixant le crâne de son épouse), de voir s’éloigner la côte de Caroline du Nord lui rappelait sa fille et Roger Mac. Ils lui manquaient et leur écrire les rapprochait de lui.
Peu avant qu’il prenne congé de Fergus, celui-ci lui avait demandé :
« Vous pensez les voir ? Vous irez peut-être en France ? »
Pour autant que sachent Fergus, Marsali et tous les habitants de Fraser’s Ridge, Brianna et Roger Mac étaient partis pour la France afin d’échapper à la guerre imminente.
En espérant que son chagrin ne transparaissait pas dans sa voix, il avait répondu :
« Non. Je doute que nous les revoyions un jour. »
La main droite de Fergus s’était resserrée un instant sur son avant-bras avant de le lâcher. Il avait déclaré doucement :
« La vie est longue.
— Oui », avait-il répondu.
Mais aucune vie n’est longue à ce point .
Sa main commençait à s’assouplir. Claire continuait de la masser mais ce n’était plus aussi douloureux.
Elle déposa un baiser sur ses doigts et murmura :
— A moi aussi, ils me manquent. Donne-moi la lettre, je la terminerai.
La main de ton père n’en supportera pas davantage pour aujourd’hui. Outre le nom de son capitaine, ce navire a une autre particularité. En descendant dans la cale plus tôt ce matin, j’ai vu des piles de caisses sur lesquelles étaient peints au pochoir « Arnold » et « New Haven, Connecticut ». J’ai déclaré à un membre d’équipage (qui, lui, se nomme tout bêtement John Smith et semble vouloir pallier cet intolérable manque de distinction en portant trois anneaux d’or à une oreille et deux à l’autre. Il m’a assuré que chacun d’eux représentait un naufrage dont il avait réchappé. J’espère que ton père n’en saura rien) que ce M. Arnold devait être un marchand très prospère. Il m’a répondu en riant que M. Benedict Arnold était un colonel de l’armée continentale et un officier d’un grand courage par-dessus le marché. Les caisses sont destinées à sa sœur Hannah Arnold, qui s’occupe de ses trois fils ainsi que de son magasin de produits importés et d’articles de mercerie dans le Connecticut pendant qu’il est à la guerre.
Je dois dire que les bras m’en sont tombés. J’ai déjà rencontré des hommes dont je connaissais d’avance le destin, et au moins un que je savais condamné à une triste fin. On ne s’y habitue jamais. J’ai contemplé les caisses en me demandant : Dois-je écrire à Mlle Hannah ? Dois-je descendre du bateau à New Haven et partir à sa recherche ? Pour lui dire quoi, au juste ?
Toutes nos expériences à ce jour suggèrent qu’on ne peut pas changer ce qui doit arriver. En examinant la situation objectivement, je ne vois pas comment… et pourtant. Et pourtant !
Et pourtant, j’ai côtoyé tant de gens dont les actions ont eu un effet notable, qu’ils aient fini dans les livres d’histoire ou pas. Comment pourrait-il en être autrement ? dit ton père. Les actions de chacun d’entre nous influent sur l’avenir. Il a raison, naturellement. Néanmoins, de se retrouver en présence d’un homme tel queBenedict Arnold vous en fiche un coup, comme aime à le dire le capitaine Roberts.
Fin de la digression. J’en reviens au sujet originel de cette lettre, le mystérieux M. Beauchamp. Si tu as du temps et que tu possèdes encore les cartons de paperasse et de livres qui se trouvaient dans le bureau de ton père (je veux parler de Frank), tu y retrouveras peut-être une grande enveloppe en papier kraft. Un écusson y a été dessiné avec des crayons de couleur. Je crois me souvenir qu’il est bleu et or, avec des martinets. Avec un peu de chance, il contient encore la généalogie des Beauchamp qu’oncle Lamb avait reconstituée pour moi. Il y a de cela belle lurette !
Rien que par curiosité, regarde si tu trouves une trace d’un Percival quelque part autour de 1777.
Le vent commence à se lever et la mer s’agite. Ton père est devenu tout pâle et a le front moite. Je ferais mieux d’arrêter
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