Le prix de l'indépendance
chandelle.
Le regard du révérend Weatherspoon s’était attardé avec intérêt sur la cicatrice dans son cou mais il n’avait rien dit. MacLeod aurait peut-être moins de tact.
Car le Seigneur châtie celui qu’il aime … Weatherspoon ne l’avait pas dit au cours de leur conversation mais il avait choisi cette phrase comme thème de son groupe de discussion biblique hebdomadaire. Roger l’avait lu sur le prospectus posé sur son bureau. Dans son état d’hypersensibilité, tout lui semblait porteur de message.
— Si c’est ce que tu as en tête, Seigneur, j’apprécie le compliment, déclara-t-il à voix haute. Toutefois, si tu pouvais m’aimer un peu moins cette semaine, ça m’arrangerait bien.
Derrière la plaisanterie, il y avait une part de colère. Il en avait assez de devoir une fois de plus faire ses preuves. La dernière fois, il avait dû prouver sa valeur physique. Et voilà qu’il devait remettre ça sur le plan spirituel ? Dans un monde aussi tordu et glissant ? Il avait pourtant déjà démontré sa bonne volonté, non ?
— Tu m’as appelé, j’ai répondu oui. Ça ne te suffit donc pas ?
Brianna ne comprenait pas non plus. Cela avait été le point d’orgue de leur querelle. Elle avait déclaré :
« Tu avais… ou plutôt je croyais que tu avais… une vocation. Ce n’est peut-être pas ainsi que l’appellent les protestants mais c’est bien de ça qu’il s’agit, n’est-ce pas ? Tu m’as dit que Dieu te parlait. »
Elle l’avait dévisagé fixement d’un regard si pénétrant qu’il avait eu envie de détourner les yeux. Ce qu’il n’avait pas fait.
Elle avait posé une main sur son bras, le pressant légèrement, et repris plus doucement :
« Tu crois que Dieu change d’avis ? Ou tu penses t’être trompé ?
— Non, avait-il répondu aussitôt. Non, quand quelque chose comme ça t’arrive… enfin, quand ça m’est arrivé, je n’avais pas le moindre doute.
— Et tu en as maintenant ?
— On croirait entendre ta mère établissant un diagnostic. »
Bree ressemblait tellement à son père physiquement qu’il voyait rarement sa mère en elle mais sa façon calme et impitoyable de poser des questions était du Claire Beauchamp tout craché. Tout comme son sourcil légèrement arqué, en attente d’une réponse. Il avait pris une profonde inspiration.
« Je ne sais pas.
— Si, tu le sais. »
Sa colère avait explosé, soudaine et vive. Il avait libéré son bras d’un coup sec.
« De quel droit viens-tu me dire ce que je sais ou pas ? »
Elle avait écarquillé les yeux.
« Je suis ta femme, tout de même !
— Et ça t’autorise à lire dans mes pensées ?
— Ça m’autorise à m’inquiéter pour toi !
— Eh bien, tu as tort ! »
Naturellement, ils avaient fait la paix, scellée avec un baiser et plus encore. Ils s’étaient mutuellement pardonné. Mais pardonner ne signifiait pas oublier.
Si, tu le sais .
Le savait-il ?
— Oui ! lança-t-il avec défi au broch visible depuis sa fenêtre.
Que faire de cette certitude ? C’était là que le bât blessait.
Peut-être était-il destiné à être prêtre mais pas presbytérien ? Interconfessionnel, évangéliste… catholique ? Cette pensée était si troublante qu’il se leva pour arpenter la pièce. Il n’avait rien contre les catholiques (si l’on excluait les automatismes engendrés par une enfance et une adolescence de protestantdans les Highlands) mais il ne pouvait s’imaginer comme l’un d’eux. Pour Mmes Ogilvy, MacNeil et autres, ce serait « passer dans le camp de Rome » ; une défection qui serait discutée pendant des années dans des chuchotements horrifiés. Cette image le fit sourire malgré lui.
De toute façon, il ne pouvait devenir un prêtre catholique, étant marié et père de famille. Cela l’apaisa un peu et il se rassit. Non. Il devrait se convaincre que Dieu, par l’intermédiaire du professeur Weatherspoon, lui montrait la voie dans ce passage difficile de sa vie. Et si c’était vrai… n’était-ce pas là une preuve de la prédestination ?
Roger gémit, chassa toutes ces pensées et se plongea avec ténacité dans son cahier.
Certains des poèmes et des chants qu’il avait recopiés étaient connus ; une sélection de chansons traditionnelles qu’il avait chantées dans son ancienne vie. Bon nombre des textes plus rares, il les avait appris, au XVIII e siècle, d’immigrants écossais, de voyageurs, de colporteurs et de marins.
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