Le prix de l'indépendance
érigne brisée, un sac de tissu ouaté pour les pansements et un énorme pot de graisse camphrée.
Le laudanum était tentant mais le devoir avant tout. J’attachai mes cheveux et commençai à farfouiller dans la cargaison dans l’espoir d’y trouver quelque chose d’utile. M. Smith et Ian étaient partis en canot rejoindre le Teal pour essayer de récupérer mon coffre mais, vu les dégâts dans la partie où s’était trouvée notre cabine, je ne comptais pas trop dessus. Un boulet de l’ Asp avait percé la coque du Teal sous la ligne de flottaison. S’il ne s’était pas échoué, il aurait coulé tôt ou tard.
J’avais procédé à un tri rapide sur le pont : un mort, plusieurs blessés légers, trois graves mais pas en danger immédiat. Il y en avait certainement d’autres sur le Teal . D’après ce que m’avaient raconté les hommes, les deux navires avaient échangé des bordées à quelques mètres de distance seulement. Un affrontement expéditif et sanglant.
Quelques minutes après la fin du combat, le Pitt était apparu ; les hommes à son bord étaient manifestement parvenus à s’entendre assez pour naviguer. Il servait à présent au transport des blessés. J’entendis l’appel de son maître d’équipage par-dessus le sifflement du vent.
— C’est parti ! murmurai-je.
Je saisis la plus petite des scies à amputer et me préparai pour mon propre affrontement expéditif et sanglant.
Abram Zenn était en train de s’occuper des lanternes pour que j’y voie plus clair, le soleil étant presque couché. Je lui demandai, intriguée :
— Mais si vous avez des canons à bord, c’est que le capitaine Hickman était prêt à les utiliser. Il n’a pas pensé qu’il y aurait peut-être des blessés ?
Abram me fit une petite grimace navrée.
— C’est notre premier voyage avec une lettre de marque, m’dame. On fera mieux la prochaine fois.
— Votre première ? Depuis quand le capitaine Hickman navigue-t-il ?
J’étais en train de fouiller la cale de fond en comble et je venais de découvrir avec satisfaction un coffre rempli de rouleaux de calicot imprimé. Abram fronça les sourcils, réfléchissant tout en continuant de tailler une mèche.
— Eh bien… il avait un bateau de pêche avec son frère, à Marblehead. Puis après que son frère a été tué par le capitaine Stebbings, il est parti travailler pour Emmanuel Bailey en qualité de second sur un de ses navires. M. Bailey est un Juif. Il possède une banque à Philadelphie et trois vaisseaux qui assurent des liaisons commerciales avec les Antilles. Il est aussi propriétaire de ce navire et c’est lui qui a obtenu du Congrès la lettre de marque pour le capitaine Hickman quand la guerre a été déclarée.
— Je vois, dis-je, légèrement interloquée. C’est donc son premier voyage en tant que capitaine d’un sloop ?
— Oui, m’dame. La plupart du temps, les corsaires n’ont pas de subrécargue, voyez-vous ? Or, c’est la tâche dusubrécargue d’approvisionner le vaisseau et de penser à des choses comme les fournitures médicales.
— Comment sais-tu tout cela ? Depuis quand navigues-tu ?
Je venais de tomber sur une bouteille contenant ce qui paraissait être un excellent cognac. Il ferait un parfait antiseptique.
— Oh, depuis que j’ai huit ans, m’dame.
Il se hissa sur la pointe des pieds pour suspendre une des lanternes. Une lumière chaude et rassurante envahit mon bloc opératoire improvisé.
— J’ai six grands frères. C’est l’aîné qui dirige la ferme avec ses fils. Un autre est charpentier sur un chantier naval à Newport News. Un jour, en discutant avec un capitaine, il lui a parlé de moi et, une chose en entraînant une autre, je me suis retrouvé moussaillon à bord de l’ Antioch qui faisait le voyage des Indes. Je suis arrivé à Londres avec le capitaine et, dès le lendemain, nous sommes repartis pour Calcutta. Je suis en mer depuis et ça me plaît bien.
Il reposa les pieds par terre et me sourit.
— Tes parents… ils sont toujours en vie ?
— Non, m’dame. Ma mère est morte en me mettant au monde et mon père quand j’avais sept ans.
Cela ne paraissait pas le troubler mais, d’un autre côté, il avait roulé sa bosse depuis.
— J’espère que tu continueras à aimer la mer. Tu n’as pas de doute, après ce qui s’est passé aujourd’hui ?
Il réfléchit sérieusement, puis releva les yeux vers moi. Son air grave le faisait paraître plus vieux
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