Le prix de l'indépendance
Jamie l’avait appelé, criant son nom sans obtenir de réponse. Peut-être Arch avait-il craint un piège ? A moins qu’il n’ait simplement pris la fuite en voyant Jamie et Ian, présumant qu’ils ne feraient aucun mal à sa femme. Auquel cas…
Je jurai entre mes dents. Je ne pouvais rien pour lui mais peut-être pourrais-je aider Ian. J’essuyai mon visage sur ma manche et repris ma route, lentement, la lueur de ma lanterne engloutie par les tourbillons de neige. Si je tombais sur Arch… ? Mes doigts se crispèrent sur la poignée de la lanterne.Je serais obligée de le lui dire, de le conduire à la cabane pour qu’il la voie. Oh, Seigneur ! Si je revenais avec Arch, Jamie et Ian parviendraient-ils à le retenir assez longtemps pour que je sorte Mme Bug du garde-manger et la rende plus présentable ? Je n’avais pas eu le temps d’extraire la flèche ni de lui faire un brin de toilette. Je plantai mes ongles dans ma paume, essayant de me ressaisir.
— Pitié ! Faites que je ne tombe pas sur lui ! marmonnai-je. Faites que je ne tombe pas sur lui !
La beurrerie, le fumoir et le séchoir à maïs étaient déserts – Dieu merci ! Personne n’aurait pu se cacher dans le poulailler sans que les poules fassent un esclandre. Or elles étaient silencieuses, attendant en dormant que passe la tempête. Le poulailler me fit penser à Mme Bug. Je la revis lançant à la volée les grains de maïs retenus dans son tablier, parlant aux stupides volatiles d’une voix chantante. Elle leur avait donné à toutes un prénom. Je me fichais de savoir si nous dînions d’Isobeaìl ou d’Alasdair mais, l’espace d’un instant, le fait que plus personne ne saurait les distinguer les unes des autres ni ne se réjouirait de ce qu’Elspeth ait eu dix poussins me fendit le cœur.
Je trouvai enfin Ian dans la grange, une forme sombre recroquevillée sur la paille aux pieds de Clarence, notre mule dont les oreilles se dressèrent en m’apercevant. Ravie de voir la compagnie s’agrandir, elle se mit à braire de joie tandis que les chèvres bêlaient de panique en me prenant pour un loup. Surpris, les chevaux hennirent et s’ébrouèrent. Rollo, roulé en boule près de son maître, manifesta son mécontentement devant un tel raffut par un aboiement sec.
Je secouai ma cape et accrochai la lanterne à un clou près de la porte.
— Mais c’est une vraie arche de Noé, ici ! observai-je. Il ne manque plus qu’un couple d’éléphants. Tais-toi, Clarence !
Ian se tourna vers moi mais je pouvais voir à son regard vide qu’il ne m’avait pas entendue.
Je m’accroupis près de lui et posai une main sur sa joue. Elle était froide et hérissée d’une jeune barbe.
— Ce n’était pas de ta faute, lui dis-je avec douceur.
— Je sais.
Il marqua un temps d’arrêt avant d’ajouter :
— Mais je ne vois pas comment continuer à vivre après ça.
Il n’avait pas parlé sur un ton tragique et paraissait simplement perplexe. Rollo lui lécha la main et il enfonça les doigts dans la fourrure épaisse de son cou comme pour y puiser du réconfort.
Il me regarda, désemparé.
— Que puis-je faire, ma tante ? Rien, n’est-ce pas ? Je ne peux défaire ce que j’ai fait, ni remonter dans le temps. Pourtant, je n’arrête pas de chercher un moyen… un moyen de réparer les choses. Mais il n’y a… rien.
Je m’assis à ses côtés, passai un bras autour de ses épaules et attirai sa tête contre moi. Il se laissa faire à contrecœur. Je sentais son corps parcouru de frissons d’épuisement et de chagrin.
— Je l’aimais, dit-il d’une voix à peine audible. Elle était comme une grand-mère pour moi. Et je…
— Elle t’aimait aussi, chuchotai-je. Elle aurait compris.
J’avais refoulé désespérément mes émotions afin de pouvoir accomplir mon travail. Mais à présent… Ian avait raison, il n’y avait rien à faire. Par pur désespoir, les larmes commencèrent à couler sur mon visage. La douleur et le choc étaient trop violents, je ne pouvais plus les contenir.
Peut-être fut-ce parce qu’il sentit mes larmes sur sa peau ou le tremblement de mes épaules, mais Ian se lâcha à son tour et se mit à sangloter dans mes bras.
J’aurais voulu de tout mon cœur qu’il ne soit encore qu’un enfant, que ce torrent de larmes emporte son sentiment de culpabilité en le laissant purifié, pacifié. Mais il était bien au-delà de réactions aussi simples. Je ne pouvais que le serrer contre
Weitere Kostenlose Bücher