Le prix de l'indépendance
docteur pour jouir des bienfaits de sa pratique, milord ?
Grey tressaillit en voyant le baron commencer à déboutonner sa veste. Heureusement, avant qu’il n’ait trouvé que répondre, Franklin s’était levé, déclarant qu’il en avait eu assez pour la journée. Se tournant vers Grey, il le regarda dans le blanc des yeux avec grand intérêt et une pointe d’amusement, puis ajouta :
— Mais, surtout, que mon absence ne vous empêche pas de vous faire du bien tous les deux, messieurs.
Le baron, avec une courtoisie parfaite, se reboutonna aussitôt. Il leur annonça qu’il les retrouverait dans la bibliothèque pour l’apéritif et s’éclipsa.
Franklin avait une robe de chambre en soie. Grey la lui tint, observant les fesses blanches, un peu tombantes, mais remarquablement fermes et lisses du docteur tandis que celui-cipassait lentement les bras dans les manches tout en se plaignant d’un début d’arthrite aux épaules.
Franklin se tourna et noua le cordon de sa ceinture.
— Merci, milord. Si je comprends bien, vous ne connaissiez pas Amandine avant aujourd’hui ?
— En effet. J’ai fait la connaissance de son… beau-frère, M. Beauchamp, il y a quelques années.
Il ajouta sans savoir pourquoi :
— En Angleterre.
Le regard de Franklin s’éclaira brièvement en entendant le nom de Beauchamp.
— Vous le connaissez ? demanda Grey.
— De nom seulement. Beauchamp est donc anglais ?
Un certain nombre de possibilités stupéfiantes traversèrent l’esprit de Grey mais une évaluation rapide de chacune d’elles le convainquit que la vérité était sans doute plus sûre et il se contenta de répondre par l’affirmative.
Durant les quelques jours qui suivirent, il eut de passionnantes conversations avec le docteur, au cours desquelles le nom de Percy Beauchamp brilla par son absence. Apprenant qu’il comptait se rendre dans les colonies au printemps, l’Américain insista pour lui donner des lettres d’introduction auprès de plusieurs amis. Quand le vieil homme repartit pour Paris, Grey avait développé pour lui une profonde sympathie… et acquis la certitude qu’il savait précisément qui était et avait été Beauchamp.
— Je vous demande pardon, monsieur.
L’un des marins du Tartar l’écarta gentiment de son chemin, extirpant Grey de sa rêverie. Il se rendit soudain compte que ses mains nues étaient glacées et ses joues insensibilisées par le vent. Laissant les marins à leur travail, il descendit sous le pont, se sentant singulièrement et honteusement réchauffé par le souvenir de son séjour aux Trois Flèches.
3 mai 1777
New York
Cher papa,
Je viens de recevoir ta lettre concernant Henry. J’espère de tout mon cœur que tu pourras découvrir où il se trouve et obtenir sa libération. Si j’apprends quoi que ce soit d’utile à son sujet, je ferai mon possible pour te le faire savoir. Y a-t-il quelqu’un à qui adresser mes lettres dans les colonies ? (A défaut d’une autre solution, je les enverrai aux bons soins de M. Sanders à Philadelphie, avec une copie au juge O’Keefe à Richmond pour être plus sûr.)
Pardonne-moi de ne pas avoir écrit plus tôt. Ce n’est pas (hélas) dû à un excès d’activité de ma part mais plutôt la faute à l’ennui et à l’absence de quoi que ce soit d’intéressant à raconter. Après un hiver monotone emmuré dans Québec (bien que j’aie beaucoup chassé et aie abattu une créature très féroce appelée glouton), j’ai enfin reçu de nouveaux ordres de l’aide de camp du général Howe à la fin mars quand certains des hommes de sir Guy sont rentrés à la Citadelle. Il me rappelait à New York.
Je n’ai plus jamais eu de nouvelles du capitaine Randall-Isaacs et n’ai rien pu apprendre de plus depuis mon retour. J’ai bien peur qu’il ne se soit perdu dans le blizzard. Si tu connais sa famille, pourrais-tu leur envoyer un mot de ma part en leur disant que j’espère qu’il en est sorti indemne ? Je le ferais moi-même, mais je ne sais comment les retrouver ni comment exprimer mes sentiments avec délicatesse au cas où ils seraient inquiets pour son sort ou, pire, ne le seraient plus. Tu sauras quoi leur dire, toi. Tu trouves toujours les mots justes.
J’ai eu moi-même plus de chance, n’ayant subi qu’un naufrage mineur en descendant le fleuve. (Lors du portage à Ticonderoga, un groupe de tireurs d’élite américains nous ont pris pour cible depuis le fort. Il n’y eut pas de
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