Le prix de l'indépendance
demanda Menzies. De quoi s’agit…
— Comment ça ? Comment ça ? s’écria le vieux Barney en se précipitant vers eux. Pas de politique dans la loge, mon garçon ! Si tu veux gaver frère Roger avec tes conneries de SNP, emmène-le au pub plus tard.
Saisissant Cameron par le coude, il l’entraîna vers un autre groupe à l’autre bout de la salle. Là, Cameron se mêla aussitôt à la conversation, ne lançant qu’un bref dernier regard à Roger.
Roger se tourna vers Menzies.
— « Conneries de SNP » ?
Le directeur d’école haussa les épaules en souriant.
— Vous avez entendu le vieux Barney : pas de politique !
C’était l’une des règles maçonniques de base, on ne discutait ni de religion ni de politique dans les loges, ce qui expliquait sans doute pourquoi la franc-maçonnerie survivait depuis aussi longtemps. Roger n’aimait pas beaucoup le SNP, le Parti national écossais, mais Cameron l’intriguait.
— Non, je ne m’intéresse pas à la politique, je me demandais simplement si Rob était un militant convaincu.
— C’est un peu de ma faute, frère Roger. J’ai raconté à mon épouse l’incident entre Jem et Mlle Glendenning et… vous connaissez les femmes ! Ma belle-sœur étant la voisine de Rob, celui-ci a eu vent de l’affaire. Elle l’a intéressé en raison du gàidhlig , voyez-vous ? Il a tendance à toujours en faire un peutrop et à se laisser emporter, mais je suis sûr qu’il ne voulait pas manquer de respect à votre femme.
Comprenant que Menzies se méprenait sur Cameron et Brianna, Roger décida de ne pas éclairer sa lanterne. Les femmes n’étaient pas les seules à cancaner : le commérage était un art de vivre dans les Highlands. Si l’histoire du mauvais tour que Rob et ses camarades avaient joué à Brianna se répandait, cela risquait de nuire à sa réputation professionnelle. Aussi déclara-t-il pour faire dévier la conversation :
— Naturellement, je suppose que le SNP veut ressusciter le gàidhlig . Rob Cameron le parle-t-il ?
— Non, ses parents faisaient partie de ceux qui ne voulaient pas que leurs enfants le parlent. Aujourd’hui, il a très envie de l’apprendre. D’ailleurs, à ce sujet…
Menzies hésita, la tête inclinée sur le côté.
— Après notre conversation de l’autre jour, il m’est venu une idée.
— Oui ?
— Accepteriez-vous de donner un cours de temps en temps ? Peut-être uniquement à la classe de Jem, ou, si vous vous en sentez le courage, une présentation à toute l’école ?
— Un cours ? De gaélique ?
— Oui, rien que de très basique, naturellement, mais peut-être avec quelques explications historiques, un peu de chants… Rob me dit que vous êtes chef de chœur à Saint Stephen ?
— Assistant chef de chœur, rectifia Roger. Pour ce qui est du chant, je ne suis pas sûr mais pour le gàidhlig… oui, ça me tente assez. Laissez-moi y réfléchir.
Il trouva Brianna dans son bureau, une lettre de ses parents à la main, non ouverte.
Elle la posa et se leva pour l’embrasser.
— Nous ne sommes pas obligés de la lire ce soir, dit-elle. Mais j’avais besoin de les sentir proches. Comment s’est passée ta tenue ?
— Bizarrement.
Le contenu des travaux devait rester secret, mais il pouvait lui parler de Menzies et de Cameron.
— C’est quoi le SNP ? demanda-t-elle.
— Le Parti national écossais.
Il ôta sa veste et frissonna. Il faisait froid et il n’y avait pas de feu dans le bureau.
— Il est apparu à la fin des années trente mais n’a vraiment pris de l’ampleur que récemment. En 1974, onze de ses membres ont été élus au Parlement, un score respectable. Comme tu t’en doutes, son objectif est d’obtenir l’indépendance de l’Ecosse.
— « Respectable »… répéta Brianna, dubitative.
— Oui, enfin, comme tous les partis, il compte son lot de cinglés mais, pour autant que j’ai pu en juger, Rob Cameron n’en fait pas partie. C’est juste un trou du cul de base.
Elle se mit à rire.
— Oui, c’est bien Rob, reconnut-elle.
— Menzies m’a dit qu’il s’intéressait au gaélique. Si j’enseigne à une classe, j’espère ne pas le trouver au premier rang.
— Quoi ? Tu vas donner des cours de gaélique ?
— Eh bien… peut-être. Ça reste à voir.
Il ne se sentait pas encore prêt à réfléchir sérieusement à la proposition de Menzies, sans doute à cause du chant. Croasser un air avec les enfants pour les guider était une chose ;
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