Le prix de l'indépendance
paix. Jamie était, ou avait été, colonel de milice. C’était une charge dont il ne pouvait se défaire, à moins d’être absent ou physiquement incapable de la remplir. La rébellion était loin de faire l’unanimité dans les montagnes. Je connaissais un certain nombre de gens qui avaient été battus, harcelés, chassés dans la forêt ou les marécages, voire purement et simplement assassinés pour avoir exprimé de façon peu avisée leurs sentiments politiques.
L’hiver nous empêchait de partir mais il mettait également un frein aux activités des milices… ou des bandes de brigands, les deux se rejoignant parfois. Cette pensée me fit frissonner.
— Tu as froid, tu ne veux pas rentrer, a nighean ? Je peux très bien monter la garde tout seul.
— C’est ça. Et quand on viendra t’apporter des biscuits et du miel on te trouvera étendu à côté de ces deux vieilles femmes, une hache plantée dans le crâne ! Merci, je vais très bien.
Je bus une autre gorgée de whisky et lui tendis la flasque, reprenant :
— Nous ne sommes pas obligés de retourner en Ecosse. Nous pourrions aller à New Bern. Tu t’associerais avec Fergus et travaillerais dans l’imprimerie.
Il m’avait expliqué qu’il voulait rentrer à Edimbourg pour y chercher son ancienne presse, puis revenir participer à la lutte armé de plomb sous forme de caractères d’imprimerie plutôt que de balles de mousquet. Restait à savoir laquelle de ces deux méthodes était la moins dangereuse.
Jamie me sourit, ses yeux en amande formant deux triangles.
— Tu crois vraiment que ta présence empêcherait Arch Bug de me couper en deux si c’est ce qu’il a en tête ? Non, Fergus a le droit de s’exposer au danger si tel est son désir. Mais jen’ai pas celui de l’entraîner, lui et sa famille, dans mes déboires.
— Ce qui me dit tout ce que j’ai besoin de savoir sur le genre de textes que tu comptes imprimer. Et ma présence n’empêchera peut-être pas Arch de t’attaquer mais, au moins, je pourrai te prévenir si je le vois s’approcher subrepticement par-derrière.
— Je prie pour t’avoir toujours à mes côtés pour surveiller mes arrières, Sassenach , m’assura-t-il avec gravité. Tu sais sans doute déjà quel est mon projet ?
— Oui, soupirai-je. Parfois, j’ai le vain espoir de me tromper à ton sujet… mais ce n’est jamais le cas.
Il éclata de rire.
— Effectivement. Pourtant, tu es toujours ici, non ?
Il me porta un toast puis but une gorgée.
— Il est bon de savoir que quelqu’un me regrettera quand je serai tombé.
— Ne crois pas que le fait que tu aies utilisé le futur plutôt que le conditionnel m’ait échappé, rétorquai-je.
— Cela a toujours été « quand », Sassenach , dit-il doucement. « Tous les chapitres doivent être ainsi traduits », pas vrai ?
Je pris une profonde inspiration et observai mon souffle se condenser en une volute blanche.
— J’espère sincèrement n’avoir jamais à le faire mais, si cela arrive un jour… voudrais-tu être enterré ici ? Ou ramené en Ecosse ?
Je songeai à la sépulture conjugale en granit dans le cimetière de l’église Saint Kilda, avec son nom sur la stèle… et le mien. J’avais failli faire un arrêt cardiaque en la voyant et je n’étais pas sûre d’avoir pardonné à Frank pour ce coup-là, même s’il avait produit l’effet escompté.
— J’aurai de la chance si je suis enterré un jour, Sassenach . Je finirai plus probablement noyé, brûlé ou abandonné sur un champ de bataille. Ne t’inquiète pas pour ça. Si tu dois un jour disposer de ma dépouille, laisse-moi pourrir sur place, mangé par les corbeaux.
— J’en prends note.
— Dis-moi, Sassenach , cela t’ennuie-t-il de retourner en Ecosse ?
J’hésitai. Tout en sachant qu’il ne finirait pas sous cette stèle particulière, je ne pouvais me défaire de l’impression qu’il mourrait un jour sur sa terre natale.
— Non, les montagnes me manqueront et, oui, cela m’ennuiera de te voir virer au vert et rendre tripes et boyaux sur le bateau, sans parler de tout ce qui pourrait nous arriver en route vers ledit bateau mais… mis à part Edimbourg et ta presse, tu comptes te rendre à Lallybroch, n’est-ce pas ?
Il acquiesça en fixant les charbons rougeoyants. Ces derniers projetaient une lueur chaude sur l’arc roux de ses sourcils et une ligne d’or sur l’arête de son long nez droit.
— J’ai promis, répondit-il
Weitere Kostenlose Bücher