Le prix de l'indépendance
s’est chargée de lui. Il a beaucoup crié et j’ai été recruté d’office pour m’asseoir sur lui durant l’opération). Il m’a expliqué que Washington ne dispose que de quelques milliers de soldats réguliers, tous mal équipés, mal armés et mal vêtus. Ils n’ont pas touché leur solde depuis un certain temps et n’en verront sans doute jamais la couleur. Le gros de ses troupes est donc composé de miliciens, enrôlés pour deux ou trois mois et dont bon nombre commencent à disparaître, ayant besoin de rentrer chez eux pour les semailles.
Mais voilà, je sais. Parallèlement, j’ignore comment se dérouleront exactement les événements qui surviendront. Suis-je destiné à y jouer un rôle d’une manière ou d’une autre ? Devrais-je me tenir à l’écart ? Cela nuirait-il à la réalisation de nos désirs, voire les empêcherait ? J’aimerais pouvoir en discuter avec ton mari, tout presbytérien qu’il soit. Je suis sûr qu’il trouverait ces questions encore plus troublantes que moi. Mais, au bout du compte, peu importe. Je suis tel que Dieu m’a fait et dois affronter les temps dans lesquels il m’a placé.
Je n’ai pas encore perdu la vue, l’ouïe ou encore le contrôle de mes intestins mais je ne suis plus un jeune homme. J’ai une épée, un fusil, et je sais m’en servir, mais je possède également une presse d’imprimerie que je peux mettre à bien meilleur usage. Il ne m’a pas échappé qu’un mousquet ou une épée ne permet de combattre qu’un ennemi à la fois tandis que les mots peuvent toucher une multitude.
Ta mère, sans nul doute pour ne pas avoir à me supporter pendant plusieurs semaines avec le mal de mer, me suggère de m’associer avec Fergus, et d’utiliser la presse de L’Oignon plutôt que d’aller chercher la mienne en Ecosse.
J’y ai longuement réfléchi mais je ne peux, en mon âme et conscience, exposer Fergus et sa famille aux dangers inhérents à ceque je me propose de faire. Leur presse est l’une des rares en opération entre Charleston et Norfolk ; même en imprimant mes textes dans le plus grand secret, les soupçons ne tarderaient pas à retomber sur eux. New Bern est un foyer ardent de loyalistes et l’origine de mes pamphlets serait vite découverte.
Au-delà de ma préoccupation pour Fergus et les siens, un voyage à Edimbourg pourrait avoir d’autres bienfaits. J’y avais autrefois des relations variées ; certaines ont peut-être échappé à la prison ou au gibet.
Plus importante encore, l’autre considération qui me pousse à rentrer en Ecosse concerne ton cousin Ian. Il y a des années de cela, j’ai juré à ma sœur – sur la tête de notre mère – de lui ramener son fils, ce que j’ai la ferme intention de faire même si l’homme que je raccompagnerai à Lallybroch n’est plus le garçon qui en est parti. Dieu seul sait ce qu’ils penseront l’un de l’autre, Ian et Lallybroch, et Dieu a un sens de l’humour bien singulier. Mais s’il doit rentrer un jour, il faut que ce soit maintenant.
La neige fond. Le matin, les stalactites sous les avant-toits de la cabane atteignent presque le sol et gouttent toute la journée. D’ici quelques semaines, les routes seront dégagées. Je sais qu’il peut paraître étrange de prier pour un voyage qui sera terminé, pour le meilleur ou pour le pire, longtemps avant que vous ne l’appreniez, mais je vous le demande néanmoins. Dis à Roger Mac que, selon moi, Dieu ne tient pas compte du temps. Et embrasse les enfants pour moi.
Ton père qui t’aime,
J. F.
Roger se cala contre le dossier du fauteuil et lança à Brianna un regard interrogateur.
— Tu penses qu’il s’agit de la « French Connexion » ?
— De la quoi ?
Elle relut par-dessus son épaule le passage qu’il soulignait du bout du doigt.
— Quoi ? Là où il parle de ses relations à Edimbourg ?
— Oui. N’entretenait-il pas là-bas des relations avec un tas de contrebandiers ?
— Si, c’est ce que maman m’a dit.
— D’où son allusion au gibet. Et d’où venait la plupart de la contrebande, à ton avis ?
Elle ouvrit des yeux ronds.
— Tu plaisantes ! Tu penses qu’il a l’intention de trafiquer avec des contrebandiers français ?
— Bah, pas forcément avec des contrebandiers. Apparemment, il connaissait également bon nombre d’agitateurs, de voleurs et de prostituées.
Il lui adressa un petit sourire narquois avant de poursuivre plus sérieusement :
— Je lui ai
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