Le prix de l'indépendance
préoccupait.
Au cours du dernier mois, j’avais ausculté Lizzie une fois par semaine et, depuis une semaine, je montais tous les deux jours jusqu’à sa cabane qui était assez éloignée. Le bébé (et j’étais raisonnablement convaincue qu’il n’y en avait qu’un) semblait très gros. Le fond utérin me paraissait beaucoup plus haut qu’il ne l’aurait dû. En outre, même si les fœtus changeaient fréquemment de position au cours des semaines précédant l’accouchement, celui-ci se trouvait coincé transversalement depuis bien trop longtemps.
Sans hôpital, bloc opératoire ou anesthésie, mes possibilités de traiter un accouchement complexe étaient sérieusement limitées. En l’absence d’intervention chirurgicale, la sage-femme confrontée à une présentation transversale a quatre solutions : laisser mourir la mère après une longue et douloureuse agonie ; la laisser mourir après avoir pratiqué une césarienne sans anesthésie ou asepsie mais, peut-être, en sauvant l’enfant ; sauver peut-être la mère en tuant l’enfant dans son ventre puis en l’extrayant morceau par morceau (Daniel avait consacré plusieurs pages à cette solution dans son cahier, l’accompagnant d’illustrations) ; enfin, tenter manuellement de retourner l’enfant dans l’utérus jusqu’à ce qu’il se présente dans une position lui permettant de naître.
Bien que semblant la meilleure, cette dernière option pouvait s’avérer aussi dangereuse que les autres, provoquant la mort de la mère et de l’enfant.
J’avais déjà essayé une version externe de cette méthode la semaine précédente, et réussi, non sans mal, à inciter l’enfant à s’orienter la tête en bas. Deux jours plus tard, il s’étaitretourné, appréciant manifestement d’être couché sur le dos. Il pouvait à nouveau bouger avant que le travail commence. Ou pas.
Forte de mon expérience, je parvenais généralement à faire le distinguo entre prendre en compte intelligemment d’éventuels imprévus et se faire inutilement un sang d’encre pour des événements qui ne se produiraient peut-être pas. Il n’empêche que je n’avais quasiment pas fermé l’œil de la nuit depuis une semaine, imaginant que l’enfant ne se tournerait pas à temps et revoyant encore et encore cette courte liste de choix en cherchant vainement une dernière et meilleure option.
Si j’avais eu de l’éther… mais tout mon stock avait disparu dans l’incendie.
Tuer Lizzie afin de sauver l’enfant ? Non. S’il fallait en arriver là, mieux valait sacrifier le bébé in utero afin que Rodney continue d’avoir une mère et les frères Beardsley une épouse. Toutefois, l’idée de broyer le crâne d’un enfant parvenu à terme, sain et prêt à voir le jour… ou de le décapiter à l’aide d’un fil de fer coupant…
— Vous n’avez pas faim ce matin, ma tante ?
— Euh… non. Merci, Ian.
— Tu es toute pâlotte, Sassenach . Tu n’es pas souffrante ?
— Non !
Je me levai rapidement de table avant qu’ils ne me posent d’autres questions et sortis chercher de l’eau au puits. Il ne servait strictement à rien de les terroriser avec les images qui défilaient dans ma tête.
Dehors, Amy avait commencé un feu sous la grande lessiveuse et grondait Aidan et Orrie qui, chargés de chercher du petit bois, s’interrompaient régulièrement pour se jeter des mottes de boue.
M’apercevant le seau à la main, elle me lança :
— Vous voulez de l’eau, a bhana-mhaighstir ? Aidan va aller vous en chercher.
— Non, ce n’est pas nécessaire, l’assurai-je. J’ai surtout besoin de prendre un peu d’air. Il fait si bon le matin à présent.
Le fait était qu’il faisait encore un peu frisquet jusqu’à ce que le soleil grimpe haut dans le ciel mais l’air était pur, chargéd’odeurs d’herbes, de bourgeons gorgés de résine et de chatons.
Je remplis mon seau au puits et redescendis le sentier à pas lents, absorbant les détails du paysage alentour comme on regarde des choses en sachant qu’on ne les verra plus avant longtemps, voire jamais.
Fraser’s Ridge avait considérablement changé avec l’apparition de la violence, les bouleversements de la guerre et l’incendie de la Grande Maison. Il changerait encore beaucoup plus une fois que Jamie et moi serions partis.
Qui ferait un bon chef ? Hiram Crombie était de facto à la tête du groupe de pêcheurs presbytériens venu de Thurso, mais c’était un
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