Le prix de l'indépendance
s’immobiliser. Il entendit un chuchotement, trop faible pour distinguer les mots mais au sens évident.
Il s’efforça d’adopter un souffle régulier, un peu plus sonore que la normale. Au bout d’un moment, les mouvements furtifs reprirent. Il était difficile de tromper oncle Jamie mais il existe des occasions où un homme ne demande qu’à être berné.
Sa main reposait sur la tête du chien. Rollo soupira et son grand corps s’amollit, chaud et lourd contre le sien. Sans saprésence, Ian aurait été incapable de dormir à la belle étoile. Il ne dormait jamais profondément, ni longtemps, mais au moins pouvait-il s’abandonner de temps en temps au sommeil en sachant que Rollo entendrait des bruits suspects bien avant lui.
Le premier soir de leur périple, percevant son trouble, oncle Jamie lui avait dit :
« Tu ne crains rien, tu sais. »
Sa nervosité l’avait empêché de fermer l’œil. Il était resté assis près du feu, alimentant les braises de brindilles jusqu’à ce que des flammes pures et vives s’élèvent dans le noir.
Il était conscient d’être parfaitement visible pour quiconque aurait voulu l’épier mais il n’y pouvait rien. Il aurait aussi bien pu avoir une cible peinte sur le torse ; lumière ou pas, cela n’aurait rien changé.
Rollo, couché près du feu mais les sens en alerte, avait brusquement redressé la tête puis, reconnaissant un son familier, s’était contenté de la tourner vers la forêt. Ian n’avait donc pas été surpris en voyant son oncle émerger d’entre les arbres où il avait été se soulager. Jamie s’était assis auprès de lui.
« Il ne veut pas ta peau, avait-il dit sans préambule. Tu ne cours aucun danger.
— Je crois que je préférerais encore être en danger », avait-il répliqué.
Oncle Jamie s’était tourné vers lui, surpris, puis avait hoché la tête.
Ian comprenait ce qu’il avait voulu dire. Arch Bug ne voulait pas qu’il meure. Cela aurait mis un terme à sa culpabilité et donc à sa souffrance. Ian avait regardé au fond de ces yeux qui avaient vu tant de choses, leur globe jauni et strié de rouge, larmoyant de froid et de chagrin. Ce qu’il y avait lu lui avait glacé le sang. Non, Arch Bug ne le tuerait pas… pas encore.
Son oncle contemplait le feu, sa lueur chaude illuminant les méplats de son visage, une vision qui réconfortait Ian autant qu’elle le terrifiait.
Tu ne comprends donc pas ? Il a dit qu’il me prendrait ce que j’aimais. Et pourtant tu es là, assis à mes côtés, aussi clair que le jour.
La première fois que cette pensée l’avait traversé, il l’avait aussitôt chassée. Le vieil Arch était redevable à oncle Jamie pour tout ce qu’il avait fait pour sa femme et lui. C’était le genre d’homme à respecter une dette… quoique peut-être encore plus enclin à réclamer son dû. En outre, qu’il respectât Jamie en tant qu’homme ne faisait aucun doute. En un premier temps, cela avait semblé clore le sujet.
Mais d’autres pensées lui étaient venues depuis, sournoises, lancinantes, se faufilant dans son esprit au cours de ses nombreuses nuits blanches depuis qu’il avait tué Murdina Bug.
Arch était un vieil homme. Aussi dur qu’une lance forgée sur le feu et deux fois plus dangereux… mais un vieil homme tout de même. Il s’était battu à Sheriffmuir et devait donc approcher les quatre-vingts ans. Le désir de vengeance pouvait le maintenir en vie encore un certain temps mais nul n’est éternel. Aussi bien pouvait-il se dire qu’il n’avait pas le temps d’attendre que Ian acquière quelque chose qui valait « la peine d’être pris ». S’il voulait concrétiser sa menace, il devait agir rapidement.
Ian entendait de légers bruissements de couverture de l’autre côté du feu de camp, et avala sa salive, la bouche sèche. Le vieil Arch pouvait décider de lui prendre sa tante car il savait à quel point il l’aimait et elle serait nettement plus facile à tuer qu’oncle Jamie. Non… Arch était peut-être fou de chagrin et de colère mais il n’était pas dément. Toucher à tante Claire sans éliminer Jamie en même temps serait du suicide.
Peut-être s’en fiche-t-il . Encore une autre de ces pensées qui lui trottinaient dans la tête la nuit, avec de petits pieds glacés.
Il devait les quitter, il le savait. Il l’avait compris depuis un certain temps déjà et comptait bien le faire. Il attendrait qu’ils s’endorment, puis se
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