Le prix de l'indépendance
non… plus tard.
Il devait d’abord trouver ce que l’on savait sur Percy Beauchamp dans les cercles plus officiels avant de lancer ses limiers sur la piste de ce lièvre particulier. Et avant de consulter Hal.
Il était trop tard pour passer par la voie officielle. Il enverrait un billet et prendrait rendez-vous. Dès demain matin, il se rendrait à la Chambre noire.
15
La Chambre noire
Grey se demanda quel esprit romantique avait imaginé l’appellation « chambre noire »… et s’il s’agissait d’ailleurs vraiment de romantisme. Peut-être les premiers espions avaient-ils été consignés dans un réduit aveugle sous les escaliers de Whitehall, auquel cas le terme était purement descriptif. Depuis, la Chambre noire en était venue à désigner un type d’activité plutôt qu’un lieu spécifique.
Toutes les capitales d’Europe (ainsi que quelques grandes villes) possédaient une chambre noire, des cellules où étaient inspectées les lettres dérobées par des espions dans le courrier régulier ou simplement prélevées dans les malles diplomatiques. Elles étaient décodées avec plus ou moins de succès, après quoi les informations ainsi obtenues étaient envoyées à la personne ou à l’agence concernées. A l’époque où Grey y avait travaillé, la Chambre noire anglaise employait quatre personnes, sans compter les clercs et les commis. Ils étaient à présent plus nombreux, répartis dans divers petits bureaux et recoins insignifiants des bâtiments administratifs longeant Pall Mall. Néanmoins, le centre des opérations se trouvait toujours à Buckingham Palace.
Non pas dans les parties superbement équipées qui abritaient la famille royale, ses secrétaires, les caméristes, les gouvernantes, les majordomes et autres membres du gratin de la domesticité mais quand même dans le palais.
Grey, qui avait passé son uniforme bardé de ses insignes de lieutenant-colonel pour entrer plus facilement, salua d’unhochement de tête le soldat de garde devant le portail noir. Il s’engagea dans un vestibule miteux et mal éclairé aux odeurs de vieille cire et aux vagues relents de chou bouilli et de cake brûlé. Un agréable frisson de nostalgie le parcourut. La troisième porte sur la gauche était entrebâillée. Il entra sans frapper.
Il était attendu. Arthur Norrington le salua sans se lever et lui fit signe de prendre un siège.
Les deux hommes se connaissaient depuis des années sans être pour autant vraiment amis. Grey ne l’avait pas vu depuis des lustres et trouva réconfortant de le trouver inchangé. Arthur était un homme corpulent et doux, avec de grands yeux à fleur de tête et des lèvres épaisses qui lui donnaient l’air d’un turbot sur un lit de glace pilée. Digne et légèrement réprobateur.
Grey s’assit et déposa un petit paquet sur un coin du bureau.
— Je vous suis très reconnaissant de votre aide, Arthur. Je vous ai apporté un petit quelque chose en guise de remerciement.
Norrington déballa le paquet avec des doigts avides.
— Oh ! s’exclama-t-il avec un plaisir non feint.
Il retourna la petite sculpture en ivoire entre ses gros doigts, l’approchant de son visage pour en examiner les détails avec ravissement.
— Tsuji ?
Grey hocha la tête, satisfait de l’effet de son présent. Il n’y connaissait rien en netsuke mais connaissait un marchand spécialisé dans les miniatures en ivoire chinoises et japonaises. Il avait été surpris par la finesse et la beauté du travail de celle-ci en particulier, qui représentait une femme à moitié nue engagée dans des ébats acrobatiques avec un obèse nu et coiffé d’un petit chignon.
— Je crains qu’il n’ait pas de provenance, s’excusa-t-il.
Norrington chassa ce détail d’un geste de la main sans quitter des yeux son nouveau trésor. Puis, avec un soupir de contentement, il le glissa dans la poche intérieure de sa veste.
— Merci, milord. Quant au sujet qui vous intéresse, je n’ai malheureusement pas trouvé grand-chose concernant votre mystérieux M. Beauchamp.
Il indiqua un vieux classeur en cuir sur son bureau. Grey pouvait voir un objet volumineux à l’intérieur maintenu par une ficelle. Ce n’était pas du papier.
Il tendit la main en déclarant :
— Vous me surprenez, Arthur. Enfin… voyons voir ce que vous avez là.
Norrington posa une main à plat sur le classeur et plissa le front, cherchant à lui faire comprendre que les secrets officiels ne
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