Le prix de l'indépendance
impérativement éloigner Willie de la Caroline du Nord avant qu’il ne tombe nez à nez avec Jamie Fraser ou Percy « Beauchamp ».
En outre, même si cela fendait le cœur, il fallait bien un jour laisser partir son fils, le laisser voler de ses propres ailes ; Hal le lui avait dit à plusieurs reprises. Trois fois, précisément ; à savoir chaque fois qu’un de ses fils était entré dans l’armée.
Il déplia la lettre précautionneusement comme si elle risquait d’exploser. Elle était rédigée avec un soin qui lui parut de très mauvais augure. D’ordinaire, l’écriture de Willie était lisible mais sans plus.
A lord John Grey
Le Cercle des amateurs de beefsteak anglais
De la part du lieutenant William lord Ellesmere
7 septembre 1776
Long Island
Colonie royale de la Nouvelle-York
Mon cher père,
J’ai un problème délicat à te soumettre.
Voilà bien une phrase à glacer l’échine de n’importe quel parent. Willie avait-il engrossé une jeune femme ? Avait-il joué et perdu des biens importants ? Contracté une affection vénérienne ? Défié quelqu’un ou été défié en duel ? Ou encore… avait-il découvert, sur la route qui le menait auprès du général Howe, quelque information compromettante lors de sa mission de renseignements ? Grey saisit son verre et avala une gorgée de vin. Il ressentait le besoin de prendre des forces avant d’affronter la suite. Toutefois, rien ne l’avait préparé à la phrase suivante.
Je suis amoureux de lady Dorothea.
Grey s’étrangla, renversant du vin sur sa main. Il chassa aussitôt le majordome qui se précipitait avec une serviette et s’essuya sur ses culottes tout en poursuivant sa lecture.
Voici un certain temps déjà que nous avons pris conscience d’une attraction réciproque mais j’hésitais à me déclarer, sachant que je partirais bientôt pour les colonies. Toutefois, lors du bal de lady Belvedere, une semaine avant mon départ, nous nous sommes soudain retrouvés seuls dans le parc. La beauté du décor, l’atmosphère romantique de la soirée et l’enivrante proximité de ma chère cousine ont eu raison de mon bon sens.
— Oh, bon sang ! s’exclama lord John. Ne me dis pas que tu l’as déflorée sous un buisson !
Les dîneurs assis à une table voisine tournèrent vers lui des regards intéressés. Il toussota dans son poing et reprit sa lecture.
Je rougis de honte d’avouer que j’ai laissé mes sentiments prendre le dessus, au point que j’hésite à le consigner par écrit. Je suis mortifié, naturellement, tout en sachant qu’il n’existe aucune excuse pour un comportement aussi déshonorant. Lady Dorothea a été généreuse dans son pardon et m’a interdit avec véhémence d’aller trouver directement son père comme j’en avais d’abord eu l’intention.
— Très malin de ta part, Dottie, murmura Grey.
Il n’imaginait que trop bien la réaction de son frère en apprenant la nouvelle. Restait à espérer que Willie exagérait un peu la gravité de son outrage.
Je comptais d’abord te demander de préparer oncle Hal à ma requête l’an prochain, lorsque je rentrerai à la maison et pourrai demander la main de lady Dorothea en bonne et due forme. Malheureusement, je viens d’apprendre qu’elle a reçu une autre offre, de la part du vicomte Maxwell, une proposition à laquelle oncle Hal réfléchit sérieusement.
Pour rien au monde je ne voudrais ternir l’honneur de l’élue de mon cœur mais, compte tenu des circonstances, il est clair qu’elle ne peut épouser Maxwell.
Tu veux dire que Maxwell s’apercevrait qu’elle n’est plus vierge, se dit Grey avec cynisme. Il ferait irruption chez Hal le lendemain de la nuit de noces pour le lui annoncer. Il se passa les mains sur le visage, pris d’une soudaine lassitude.
Père, les mots ne peuvent traduire les remords qui m’accablent et je ne peux même pas demander un pardon que je ne mérite pas pour t’avoir tant déçu. Si je t’implore de parler au duc, ce n’est donc pas pour moi mais pour elle. J’espère que tu pourras le convaincre d’écouter ma requête et d’accepter que nous nous fiancions sans rien lui divulguer qui pourrait causer du tort à ma chère cousine.
Ton très humble fils prodigue,
William
Grey s’enfonça dans son siège et ferma les yeux. Le premier choc de la révélation passé, son esprit commençait à cerner le problème.
C’était jouable. Rien n’empêchait William et Dottie de se
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