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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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petit sac, essuya un peu les traces de vomi sur le menton.
    â€” Tu n’es pas blessé?
    Curieusement, la sollicitude dans sa voix et la douceur du geste brûlaient comme des insultes. Non seulement Édouard s’était montré nettement dominé par son adversaire, mais maintenant, une femme devait l’aider à se redresser. Il secoua la tête pour faire cesser le petit nettoyage, tourna son visage vers le sol, puis posa les mains bien à plat pour se relever péniblement.
    La douleur lui tordait la poitrine, irradiait son crâne. Son bas-ventre demeurait pris d’une crampe tenace. Sa compagne passa sa main dans son dos jusqu’à sa nuque.
    â€” Dis-moi que tu n’es pas blessé.
    L’inquiétude perçait dans sa voix. Elle se releva et saisit son épaule à deux mains pour le soulever. Lentement, l’homme retrouvait sa respiration. À la fin, il réussit à grommeler :
    â€” Laisse-moi, je vais y arriver seul.
    Il réussit à s’agenouiller difficilement, ses fesses reposant sur ses talons. Machinalement, ses mains tâtaient son estomac, comme si l’impact avait laissé une trace palpable. Un peu plus loin, des militaires échangeaient toujours des coups avec des travailleurs de la Basse-Ville. Parmi les insultes, les mots « lâche » et « couard » revenaient sans cesse. Ces enrôlés volontaires toléraient mal de voir autant de jeunes hommes portant toujours des vêtements civils et déambulant avec une jolie fille à leur bras. Leur résolution à payer le prix du sang souffrait de voir une autre communauté refuser ce sacrifice.
    Sur la gloriette, dans leur uniforme chamarré, les membres de la Garde Champlain serraient leur instrument de musique contre leur corps, comme une armure. Tout le ridicule de leur tenue, de leur prétention martiale, sautait aux yeux.
    â€” Les policiers arrivent, prononça Clémentine d’une voix qui se voulait rassurante.
    Elle se tenait debout, n’osant plus toucher son compagnon. Une douzaine de constables, matraque au poing, se mêlèrent aux belligérants. Ils frappèrent sèchement les soldats paraissant vouloir poursuivre les hostilités, laissant fuir les autres. Dans ce genre de situation, les forces de l’ordre pouvaient aisément se trouver en difficulté.
    Les civils profitèrent de la diversion pour quitter le terrain. Déjà, la plupart des badauds se dirigeaient vers leur domicile. Une vingtaine de jeunes gens leur emboîtèrent le pas en s’appuyant sur un compagnon ou une compagne. La plupart saignaient du nez ou de la bouche, d’autres ne voyaient plus que d’un œil, l’autre étant fermé par un œdème.
    Ã‰douard refoula un peu son orgueil et accepta l’aide de Clémentine pour se dresser sur ses pieds. La respiration sifflante, un peu plié vers l’avant, une main sur l’épaule de la jeune fille, il entama un long détour afin de se tenir loin des uniformes. La rue Saint-Anselme lui parut terriblement loin.
    * * *
    Vêtu de son seul caleçon, étendu sur le lit, l’homme récupérait de son altercation. Dans le petit lavabo de la salle de bain, Clémentine s’efforçait de faire disparaître les vomissures sur la veste et la chemise. Ensuite, elle devrait s’occuper de sa robe aspergée de limonade.
    Ce soir-là, le condom resterait dans sa boîte cylindrique. L’homme tâta discrètement ses testicules pour s’assurer de l’absence de tout dommage. La douleur lui sciait le bas-ventre. Il ne pourrait se tenir tout à fait droit avant plusieurs heures.
    â€” Frapper à coups de pied! commenta la jeune fille en venant le rejoindre. Ce n’est pas une façon de se battre.
    Heureusement, elle garda pour elle l’essentiel de son commentaire : lancer une bouteille ne figurait pas non plus dans les usages habituels des affrontements entre hommes raisonnables.
    â€” Tu ne sembles pas être capable de t’en empêcher! fit son compagnon d’un ton de reproche.
    Clémentine demeura interdite. Son peignoir s’ouvrait un peu sur sa chemise, ses cheveux en désordre lui faisaient une amusante couronne dorée.
    â€” M’empêcher de quoi?
    â€” D’aguicher tout ce qui passe, surtout en uniforme. Les œillades, les sourires…
    â€” …

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