Le prix du sang
petit sac, essuya un peu les traces de vomi sur le menton.
â Tu nâes pas blessé?
Curieusement, la sollicitude dans sa voix et la douceur du geste brûlaient comme des insultes. Non seulement Ãdouard sâétait montré nettement dominé par son adversaire, mais maintenant, une femme devait lâaider à se redresser. Il secoua la tête pour faire cesser le petit nettoyage, tourna son visage vers le sol, puis posa les mains bien à plat pour se relever péniblement.
La douleur lui tordait la poitrine, irradiait son crâne. Son bas-ventre demeurait pris dâune crampe tenace. Sa compagne passa sa main dans son dos jusquâà sa nuque.
â Dis-moi que tu nâes pas blessé.
Lâinquiétude perçait dans sa voix. Elle se releva et saisit son épaule à deux mains pour le soulever. Lentement, lâhomme retrouvait sa respiration. à la fin, il réussit à grommeler :
â Laisse-moi, je vais y arriver seul.
Il réussit à sâagenouiller difficilement, ses fesses reposant sur ses talons. Machinalement, ses mains tâtaient son estomac, comme si lâimpact avait laissé une trace palpable. Un peu plus loin, des militaires échangeaient toujours des coups avec des travailleurs de la Basse-Ville. Parmi les insultes, les mots « lâche » et « couard » revenaient sans cesse. Ces enrôlés volontaires toléraient mal de voir autant de jeunes hommes portant toujours des vêtements civils et déambulant avec une jolie fille à leur bras. Leur résolution à payer le prix du sang souffrait de voir une autre communauté refuser ce sacrifice.
Sur la gloriette, dans leur uniforme chamarré, les membres de la Garde Champlain serraient leur instrument de musique contre leur corps, comme une armure. Tout le ridicule de leur tenue, de leur prétention martiale, sautait aux yeux.
â Les policiers arrivent, prononça Clémentine dâune voix qui se voulait rassurante.
Elle se tenait debout, nâosant plus toucher son compagnon. Une douzaine de constables, matraque au poing, se mêlèrent aux belligérants. Ils frappèrent sèchement les soldats paraissant vouloir poursuivre les hostilités, laissant fuir les autres. Dans ce genre de situation, les forces de lâordre pouvaient aisément se trouver en difficulté.
Les civils profitèrent de la diversion pour quitter le terrain. Déjà , la plupart des badauds se dirigeaient vers leur domicile. Une vingtaine de jeunes gens leur emboîtèrent le pas en sâappuyant sur un compagnon ou une compagne. La plupart saignaient du nez ou de la bouche, dâautres ne voyaient plus que dâun Åil, lâautre étant fermé par un Ådème.
Ãdouard refoula un peu son orgueil et accepta lâaide de Clémentine pour se dresser sur ses pieds. La respiration sifflante, un peu plié vers lâavant, une main sur lâépaule de la jeune fille, il entama un long détour afin de se tenir loin des uniformes. La rue Saint-Anselme lui parut terriblement loin.
* * *
Vêtu de son seul caleçon, étendu sur le lit, lâhomme récupérait de son altercation. Dans le petit lavabo de la salle de bain, Clémentine sâefforçait de faire disparaître les vomissures sur la veste et la chemise. Ensuite, elle devrait sâoccuper de sa robe aspergée de limonade.
Ce soir-là , le condom resterait dans sa boîte cylindrique. Lâhomme tâta discrètement ses testicules pour sâassurer de lâabsence de tout dommage. La douleur lui sciait le bas-ventre. Il ne pourrait se tenir tout à fait droit avant plusieurs heures.
â Frapper à coups de pied! commenta la jeune fille en venant le rejoindre. Ce nâest pas une façon de se battre.
Heureusement, elle garda pour elle lâessentiel de son commentaire : lancer une bouteille ne figurait pas non plus dans les usages habituels des affrontements entre hommes raisonnables.
â Tu ne sembles pas être capable de tâen empêcher! fit son compagnon dâun ton de reproche.
Clémentine demeura interdite. Son peignoir sâouvrait un peu sur sa chemise, ses cheveux en désordre lui faisaient une amusante couronne dorée.
â Mâempêcher de quoi?
â Dâaguicher tout ce qui passe, surtout en uniforme. Les Åillades, les souriresâ¦
â â¦
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