Le prix du sang
surprends parfois à trouver tout naturel que mes filles profitent aussi de ce droit, à vingt-et-un ans.
â Je suis heureuse dâavoir cette influence sur toi⦠Mais ne compte pas sur moi pour convaincre tes collègues plus obtus.
La main tenait maintenant fermement le sexe devenu raide et amorçait un léger mouvement de va-et-vient. Lâenjeu du suffrage féminin sâestompa des esprits. Un bras puissant ramena le corps de Marie tout contre celui de son compagnon, une bouche parcourut son cou, chercha son oreille.
* * *
Même si la journée gardait un peu de la chaleur de lâété, la nuit se révélait fraîche. La mauvaise saison sâannonçait déjà ; les vitrines ne présentaient plus que des paletots et des chapeaux de feutre. Au moment de quitter la rue dâAuteuil au bras de son amant, Marie demanda :
â Tes filles se portent bien, mâas-tu dit tout à lâheure. Tu les as vues au couvent?
â Ce sera ma routine pour toute la session législative. La messe le matin, et à deux heures, je me présente au parloir du pensionnat. à quatre heures, une vieille religieuse revêche vient me mettre dehors.
Après un long silence, il poursuivit :
â Toutes les deux paraissent résolues à tirer le meilleur parti de la situation. Amélie a ses amies, Françoise essaie dâapprendre le plus possible.
Ils parcouraient le chemin Saint-Louis. Les rares passants, tous des hommes, hésitaient avant de les saluer. à cette heure, aucun couple respectable ne se trouvait encore dehors. Le Château Frontenac offrait toutefois des fenêtres brillamment illuminées. Même la nuit, le grand édifice ne sâendormait jamais tout à fait.
Puis, le couple sâengagea bientôt dans la rue de la Fabrique, et se trouva devant le magasin ALFRED. Paul sâarrêta pour sâentendre dire :
â Nous allons descendre jusquâau coin, puis revenir vers lâarrière. Ce sera plus discret si je passe par la ruelle.
Il regarda autour de lui. La rue paraissait déserte, les fenêtres des édifices présentaient autant de grands rectangles sombres. Toutefois, des voisins pouvaient se tapir dans lâobscurité afin de surveiller les environs. Cela méritait un petit détour.
Dans la cour arrière, la protection dâun mur un peu branlant leur permit dâéchanger un dernier baiser brûlant.
â Dans ma routine du dimanche, sâenquit Paul, après le monastère des ursulines, pourrais-je compter te voir?
â Le curé le matin, les religieuses lâaprès-midi, la pécheresse en soirée. Tu ne crains pas pour ton âme?
Lâhomme serra ses bras sur le corps gracile et murmura avec une pointe dâimpatience dans la voix :
â Ne dis pas ce mot⦠pécheresse. Plus jamais.
Marie fut émue par cette protestation et apprécia encore plus les mots suivants :
â Je ne pense pas cela de toi, je ne pense pas cela de ce que nous vivons ensemble.
â Je retire ce mot, consentit-elle dâune petite voix. Tu as raison, et à moins dâun contretemps, je tâoffrirai tous les dimanches que tu désirerasâ¦
Leurs lèvres se soudèrent à nouveau. Marie grimpa ensuite lâescalier de service plutôt raide en se tenant à la rampe, chercha sa clé dans son sac un moment. Le bruit métallique du loquet tiré la fit sursauter. La porte donnant sur la cuisine sâouvrit pour révéler une Gertrude un peu échevelée, en chemise de nuit.
â Jâai entendu du bruit, grommela-t-elle en se tassant un peu de côté pour laisser passer sa patronne.
â Plutôt, vous êtes restée debout à mâattendre⦠Comme je vous soupçonne de lâavoir souvent fait à lâépoque des frasques dâAlfred.
La domestique ne daigna pas répondre. Elle sâapprocha du poêle et vérifia lâétat du feu en approchant sa paume de la surface de fonte.
â Je peux vous faire du thé, si vous voulez.
â Non, cela mâempêcherait de dormir. Bonne nuit.
Elle sâapprêtait à sortir de la pièce quand Gertrude demanda dans un souffle :
â Il est bien? Je veux dire⦠comme personne.
Puis, reprenant ses sens, elle sâempressa dâajouter :
â Je mâexcuse, Madame. Je ne sais pas
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