Le prix du sang
bonheur.
Il parlait comme un homme désireux de sâen convaincre. Après une gorgée de thé, il se tourna vers elle et, dans un sourire timide, demanda :
â Câest vrai, tu ne regrettes pas?
â Mon seul regret, câest que tu nâaies pas un exemplaire de ce curieux « tube » dont tu as parlé tout à lâheure.
Lâhomme avait accepté de bonne grâce de limiter leurs jeux amoureux aux pratiques ne comportant pas le risque de mettre sa compagne enceinte. Toutefois, il avait exprimé sa déception de ne pas avoir lâun de ces condoms évoqués à voix basse par certains collègues. Marie revenait sur le sujet, soucieuse pourtant de dissimuler sa parfaite connaissance de cette protection, dont elle avait fait usage lors de lâépisode délicieux de 1908.
â Depuis que les soldats ont envahi la ville, ce genre de chose devient très facile à trouver.
â Me diras-tu si des visiteuses discrètes hantent parfois ces lieux?
Avant de répondre, Paul posa sa tasse, se leva pour se débarrasser de son pantalon, soucieux de faire vite afin de ne pas exposer ses fesses velues et son sexe flasque, puis se glissa sous la couverture. Sa compagne se tassa un peu pour lui faire de la place, pas assez toutefois pour se priver du contact de son corps, de lâépaule jusquâà son pied gauche.
â Cela arrive parfois. Certains ont une bonne amie à Québec pendant des années.
â Et une épouse sagement restée dans leur comté avec les enfants?
â Oui.
â Dâautres trouvent sans doute une « amie » de passage, en échange dâun dollar.
Lâhomme se concentra un moment sur sa tasse de thé. Son épouse nâabordait jamais des questions de ce genre, au point où il se plaisait à croire à son ignorance des turpitudes de certains de ses semblables. Maintenant, il se doutait bien quâaucune femme un tant soit peu intelligente ne passait sa vie dans lâinconscience de cette réalité.
â Cela arrive aussi, consentit-il enfin. Chacun fait semblant de ne rien voir, de ne rien entendre.
â Je tiens à être la seule, murmura Marie. Sans doute voudras-tu un jour cesser de me voir. Je ne ferai pas de drame. Toutefois, dâici là , je ne souhaite pas te partager. Surtout pas avec une prostituée.
Il tourna la tête pour la regarder. La lumière électrique posée sur la table de chevet jetait une lumière jaunâtre dans la pièce. La lourde tresse de ses cheveux sâétait un peu défaite. Le profil demeurait étrangement pur, juvénile, chez cette mère de deux grands enfants.
â Tu sais bien quâentre nous, câest pour toujours.
Elle glissa sa main droite sous la couverture, la posa sur le haut de la cuisse nue et esquissa une caresse en disant :
â Je nâai pas besoin de cette promesse-là . Je veux juste avoir lâassurance que si un jour tu désires quelquâun dâautre, tu sortiras dâabord de ma vie. De mon côté, je peux tâassurer de la même chose. Aussi longtemps que je serai à toi, je serai à toi seul.
Elle ne lui expliquerait pas les mÅurs de feu son époux. Cependant, jamais elle ne tolérerait à nouveau de recevoir un bouquet de fleurs en guise dâoffrande expiatoire pour une escapade sexuelle. Résolue à devenir peu économe de ses faveurs, elle voulait que son amant sâen satisfasse exclusivement. Celui-ci se retourna vers elle pour déclarer :
â Je réalise depuis lâété dernier que je ne peux vivre sans une femme dans ma vie. Je nâen veux pas deux, mais une seule. Et je désire que ce soit toi.
La petite main chaude sur sa cuisse rendait sa tasse de thé un peu fade, tout dâun coup. Il la posa sur la table de chevet, fit de même avec celle de sa compagne, puis sâallongea sur le côté afin de lui faire face.
â Câest curieux, mais jâaime que tu sois tellement différenteâ¦
Paul nâosa pas ajouter « ⦠dâAmélie, ma première épouse ». Marie le comprit sans peine. Sa main passa sur la hanche, effleura le flanc sous la chemise.
â Même ta façon de me titiller sur la question du vote des femmes⦠Il y a un an, les mêmes paroles mâauraient semblé étranges. Je me
Weitere Kostenlose Bücher