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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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regarda le gros garçon sur ses genoux et lui caressa la joue du bout des doigts avant de prononcer dans un babil enfantin :
    â€” Voyons, ce petit ange ne souhaite pas dormir…
    Elle se pencha pour déposer des baisers bruyants dans son cou et continua :
    â€” Tu veux rester avec nous, mon bonhomme, n’Est-ce pas?
    Les gazouillis heureux témoignaient de la préférence de l’enfant. Ses deux mains potelées s’accrochèrent dans les cheveux blonds, sa bouche édentée, béatement ouverte, laissa échapper un filet de salive.
    Ces moments de joie domestique ne contaminaient guère les hommes de la maison. Une nouvelle fois lors d’un repas dominical, les copies des journaux du samedi traînaient au milieu de la table. Depuis des mois, les Canadiens français amélioraient leurs connaissances de la géographie de l’est de la France. Le mot « Courcelette » s’étalait en première page, sur toute sa largeur. Le 22 e bataillon, composé de compatriotes, avait participé à une offensive dans le cadre de la bataille de la Somme. Au terme de l’initiative, le commandant, Louis-Thomas Tremblay, avait écrit : « Si l’enfer est aussi abominable que ce que j’ai vu, je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi d’y aller. »
    â€” On parle de vingt-quatre mille « pertes ».
    La traduction de casualties ne faisait plus vraiment de mystère pour personne. D’habitude, cela signifiait environ un tiers de tués, les autres étant blessés assez gravement pour être évacués de la ligne de front.
    â€” Les nôtres ont montré toute la mesure de leur courage, commenta Fernand. Dans les journaux d’hier, les commentaires ont été élogieux, d’un océan à l’autre.
    â€” De la propagande, opposa Édouard, pour nous inciter à nous enrôler pour suivre le glorieux exemple de ces héros. Nous sommes si peu nombreux en Amérique, si nous participons en grand nombre à des boucheries comme celle de Courcelette, nous finirons par disparaître.
    L’hypothèse d’une grande conspiration afin de transformer les Canadiens français en chair à canon pour les champs de bataille européens connaîtrait une belle popularité, au point que chacun finirait par oublier la véritable proportion de ceux-ci parmi le contingent : peut-être cinq pour cent.
    â€” Ce qui m’inquiète surtout, intervint Thomas à son tour, c’est le rythme du recrutement volontaire. Celui-ci s’avère bien moins rapide que la progression des pertes. Ce genre de mathématique alimentait de nombreux éditoriaux. La conclusion venait tout de suite : seule la conscription apporterait une juste solution.
    â€” Ils n’arrivent pas à comprendre que la meilleure contribution de la province de Québec, c’est la production industrielle, affirma encore le fils de la maison.
    â€” Nous sommes faits pour les emplois mal payés dans le textile et la chaussure, et eux, pour l’héroïsme sur les champs de bataille? intervint Fernand sur le ton de la dérision. Réfléchis un peu, seuls des gens comme Bourassa et Lavergne feignent de croire à des sottises pareilles.
    Il jeta un regard vers son fils, sa meilleure assurance contre la conscription. Puis, Eugénie se montrerait bientôt à nouveau encline à recevoir ses avances.
    â€” La dernière trouvaille des politiciens conservateurs d’Ottawa est de nous priver de notre part des contrats de production de guerre. Ils souhaitent nous accorder des emplois en proportion des enrôlements de nos enfants.
    En disant ces mots, Thomas secouait la tête de dépit. Élisabeth leva les yeux pour supplier :
    â€” Ne dis pas des choses aussi cruelles. Pas devant lui.
    Comme si un bébé de cet âge comprenait quoi que ce soit à la folie des hommes. Des gazouillis baveux la détrompèrent très vite.
    â€” Selon tes amis libéraux, questionna Édouard, la mesure viendra-t-elle bientôt?
    Il faisait allusion à une loi sur le recrutement obligatoire pour le service en Europe.
    â€” Borden essaie de temporiser, de calmer l’impatience des impérialistes parmi ses hommes, répondit le père. Mais l’ampleur des pertes, combinée à la demande des pays alliés pour obtenir des renforts, le

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