Le prix du sang
Tu ne parles pas sérieusement?
Elle le regarda, immobile. Après un moment, il continua, déjà un peu moins agressif :
â Où que lâon aille, dès que je me retourne, un homme vient te parler.
Exciter sa jalousie ne lui paraissait pas une mauvaise affaire. Déjà , dans le passé, lâattention des hommes avait suscité des commentaires acides, mais aussi un regain dâattention de la part de son amant.
â Tu crois que je le fais exprès? Les hommes me remarquent⦠Toi le premier, quand tu mâas offert cette balade en voiture.
â Tu avais besoin dâencourager ce type?
â Comment cela, lâencourager?
â Je te lâai dit⦠Les sourires, la façon de bouger les yeux. Si tu lui avais simplement dit dâaller se faire voir ailleurs, rien de tout cela ne serait arrivé.
De nouveau, la surprise se lut sur le petit visage. Un peu plus et il la rendait responsable de toute lâéchauffourée. Pourtant, les bagarres entre les militaires venus du reste du pays et les Canadiens français se multipliaient, les premiers reprochant aux seconds de ne pas assumer leur part de lâimpôt du sang.
â Si tu ne sais pas te battre, ne commence tout simplement pas la bagarre et tiens-toi loin de ces hommes, siffla-t-elle entre ses dents. Quâest-ce que cela te donne de me reprocher tout cela?
Son amant serra les poings jusquâà blanchir ses jointures. La douleur à lâarrière de sa tête, le lieu de lâimpact du second coup, irradia tout son crâne.
* * *
Marie se trouvait nue sous le drap et la couverture. Ils avaient quitté le restaurant à lâheure où les autres convives demandaient à voir la carte des desserts. Pareille connivence entre eux couronnait un repas à peine entamé tellement leurs yeux avaient de choses à se dire. La pension du politicien, rue dâAuteuil, possédait une entrée de service discrète. Ils avaient atteint la chambre sans croiser personne.
La pièce sâornait dâune grande fenêtre donnant sur lâenceinte de la ville et, au-delà , sur le palais législatif. La chambre, assez grande, comptait un lit dans une alcôve, et dans la plus grande section, une table de travail, une chaise et deux fauteuils.
Paul revint du rez-de-chaussée avec une théière fumante. Les deux tasses étaient déjà sur la table, près du lit.
â Lâendroit paraît désert. Les autres locataires doivent boire un verre au bar du Château Frontenac . Les débuts de session sont propices aux grandes conspirations.
â Câest heureux, car dans cette tenueâ¦
Le député avait boutonné sa chemise tout de travers. Ses bretelles lui battaient les fesses. Il laissa échapper un grand rire en versant la boisson chaude.
â Câest vrai, je me serais attiré quelques remarques. Toutefois, comme la maison nâaccueille que des hommes, personne nâhésite à se montrer un peu débraillé.
â Ce sont tous des collègues?
â Presque tous. La propriétaire aime louer à des gens qui sont absents pendant de longs mois chaque année.
Marie se redressa en prenant bien garde de tenir le drap contre sa poitrine, prit la tasse de thé et souffla un peu sur le liquide afin de le refroidir.
â Je suppose aussi que ces beaux messieurs reçoivent de bonnes amies, à lâoccasion. Comme leur épouse se trouve parfois à lâautre bout de la provinceâ¦
â Je ne lâai jamais fait!
Paul se sentait déjà coupable dâavoir amené une femme dans son lit avant même le premier anniversaire de son veuvage. Son grand deuil durerait encore plusieurs semaines. La situation sâassimilait pour lui à un adultère commis à titre posthume.
Marie fit passer sa tasse dans son autre main et allongea la gauche afin de la poser sur le bras de son compagnon, maintenant assis près dâelle sur le lit.
â Ce nâest pas ce que jâai dit. Nous sommes seuls, nous ne trompons personne. De mon côté, je ne regrette pas notre relation, je suis heureuse de ce développement, aujourdâhui. Nous lâattendions tous les deux depuis lâété dernier.
â ⦠Tu as raison, même si notre histoire ferait sans doute ricaner tous les censeurs de Québec, et ils sont légion. Nous avons droit à ce
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