Le prix du secret
contrebas, mais l’un d’eux était le Sainte-Marguerite. À nouveau, je me demandai qui avait voyagé à son bord.
Mais Wilkins n’occupait plus mon esprit tout entier. Pourquoi Élisabeth avait-elle insisté pour m’envoyer en France avec cette lettre ? Une lettre à la fois inutile et inopportune…
Alors, cruellement, comme tracée sur mon âme par une pointe glacée, je discernai la réponse aux interrogations de Sidney.
— Je ne sais, prétendis-je. Croyez-moi, je ne suis pas dans la confidence de Sa Majesté. J’imagine que, comme vous le suggériez, elle pensait prendre un coup d’avance. Peut-être était-ce malavisé. J’ai exécuté ses ordres, mais je ne suis qu’une dame d’honneur, et non un membre du Conseil.
— Il est vrai, soupira Sir Henry. Néanmoins, je tenais à vous poser la question.
C’était un homme aimable que Sir Henry Sidney : capable, intelligent, bien plus généreux que le frère de son épouse – et, en raison même de son bon cœur, naïf à certains égards. Si j’avais deviné juste, alors ma lettre servait un tout autre dessein que celle de Sir Henry. Un dessein qui me concernait en personne.
— J’ai à vous parler, dis-je à mon beau-père. En privé, si vous le voulez bien.
Il me scruta, les sourcils froncés, et vit que j’étais sérieuse.
— Il fait bon au soleil. Allons dans le jardin clos.
Ce jardin était le lieu idéal pour une conversation intime. Les haies de buis qui l’entouraient et bordaient les petits chemins de gravier, entre les parterres à l’allure formelle, ne mesuraient que deux pieds de haut. Nul ne pouvait nous écouter, tapi derrière. Les fleurs m’étaient familières : des pensées sauvages, panachées de jaune et de violet, et des myosotis. Au centre du jardin, un arbre en pleine floraison ombrageait un banc, où nous nous assîmes. J’en vins au fait sans perdre de temps.
— J’ai bien conscience qu’en m’amenant en France, vous saviez qu’on tendait un guet-apens à mon mari. Afin que nous restions à proximité de son domaine, vous avez feint d’être souffrant. Les hommes de Cecil me surveillaient. L’un des vôtres, Harvey, a fouillé mes bagages pour voir si Matthew m’avait écrit. Tout cela, je l’ai découvert. Mais n’y avait-il rien d’autre ? Je pensais que Cecil se bornait à saisir l’occasion de mon voyage en France. À présent, je soupçonne que ce voyage entier tendait vers la capture de Matthew.
— Quoi ? dit Blanchard, me regardant fixement.
— Cecil vous a demandé de requérir mon aide pour ramener Hélène. Ainsi, je ne soupçonnerais pas que l’idée venait de lui et de la reine. En fait, j’allais servir d’appât. On m’a remis une lettre inutile à porter à Paris afin que je reste en France plus longtemps et que j’aille à la cour, où Matthew serait peut-être s’il n’était pas dans la vallée de la Loire. Tout cela pour multiplier nos chances de nous revoir.
Je me remémorai non sans amertume cette convocation, après la visite à la Tour, cette prétendue requête de dernière heure de transmettre un message à la reine Catherine. Que d’ingéniosité ! Élisabeth s’était servie du massacre de Vassy pour rendre son mensonge plus crédible et donner à cette mission l’apparence de la plus haute importance.
— Vous m’annonciez d’une voix forte chaque fois que nous entrions dans une auberge. Comme si toute la France devait savoir que dame Ursula Blanchard était là. N’ai-je pas raison ?
— Bien sûr que non ! protesta-t-il, empourpré et le regard fuyant.
— Mais je n’ai pas tout à fait tort, n’est-ce pas ? Je ne vous reproche pas d’avoir obéi, comme tout le monde, à la reine et à Cecil. Nous en avons discuté mille fois. Matthew est en sécurité. Je puis me permettre, beau-père, de comprendre votre position. Mais quelle est-elle, exactement ? M’avez-vous demandé de vous accompagner en France afin de régler une affaire de famille, ou parce que Cecil et la reine l’exigeaient ?
Le visage digne de Blanchard exprimait le chagrin et la rancœur.
— Très bien ! Puisque vous insistez, madame ! Cecil est informé sur toutes sortes de sujets qui, pourrait-on croire, ne le regardent en rien. Il sait qui sont vos parents directs ou par alliance. Il connaissait l’existence d’Hélène et mon désir de la ramener en Angleterre.
Je n’en fus pas surprise. Cecil avait sans doute un agent chez les
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