Le prix du secret
rejoindrait. Tout irait bien. Et j’y parviendrais grâce au seigneur de Clairpont.
À la différence de Wilkins, il n’avait pas voulu m’empêcher de sauver Dale. Mais en échange des trésors de Saint-Marc, il avait œuvré à sa perte. Je me rappelai les chandeliers d’or de l’abbaye, la statue dorée de la Vierge à l’Enfant. De beaux objets – des objets de prix, auxquels d’autres, peut-être, étaient venus s’ajouter, mais ils ne valaient pas la vie de Dale. Clairpont ne partageait pas cette opinion et je ne voulais plus jamais poser les yeux sur lui. Cependant, il pouvait me servir d’intermédiaire.
— Le seigneur de Clairpont est à Saint-Germain, repris-je. Il devrait savoir où Matthew se trouve et, dans le cas contraire, il pourra le découvrir. Je ne souhaite pas lui parler, mais Nicholas Throckmorton pourrait s’en charger à ma place. J’irai mieux demain. Voici une mission pour vous, Brockley : transmettez un message à Sir Nicholas, le priant de venir me voir pour une affaire personnelle d’une extrême urgence.
CHAPITRE XXII
Blanchepierre
Ce fut en hiver que je vis pour la première fois la demeure de mon mari, le château de Blanchepierre – au mois de janvier, en fait, de l’année 1564. Au printemps, deux ans auraient passé depuis ma nuit blanche à Saint-Germain. La guerre avait fait rage à travers la France. Catherine avait refusé la médiation d’Élisabeth ; celle-ci avait envoyé des troupes pour soutenir les huguenots, mais ses soldats, qui avaient essuyé de lourdes pertes, avaient été défaits par le mauvais temps et la maladie. Puis la paix était venue, une paix troublée qui ressemblait davantage à une trêve mais ramenait néanmoins un semblant de calme. Matthew s’était battu pendant qu’à Paris j’attendais dans un garni, folle d’inquiétude, mais heureuse tout de même d’avoir encore Dale et Brockley pour compagnons. Et enfin il était revenu pour m’emmener chez lui, dans la vallée de la Loire, au château de Blanchepierre.
Il y avait en France maintes demeures plus imposantes, mais Blanchepierre possédait une beauté particulière. Ses créneaux, ses tours et ses tourelles, bien que conçus pour un usage défensif, étaient bâtis avec tant d’art qu’ils n’avaient rien de rébarbatifs. Le nom du château lui allait à merveille, car, à l’instar de Douceaix, il était construit en pierre de Caen, dont la couleur changeait avec celle du ciel. Lorsque je le découvris, perché au-dessus du fleuve, sous des nuages de plomb, il était aussi blanc que le givre, mais une semaine après notre arrivée, le temps se radoucit et un coucher de soleil resplendissant le teinta tout entier de rose et d’or.
La petite salle à manger, où l’on servait d’habitude les repas du matin et du soir, ouvrait sur les remparts qui dominaient la Loire. Je me tenais entre les créneaux, contemplant les contreforts, la falaise au-dessous, puis la berge étroite et le fleuve où se mirait le château. Les murs et les tourelles, parcourus par les rides du courant, semblaient aussi ravissants et chimériques qu’un palais de conte de fées.
— C’est magique, n’est-ce pas ? me dit Matthew, venant me rejoindre sur le chemin de ronde. Je t’ai apporté un manteau. Il ne faudrait pas prendre froid. Il fait doux, pour janvier, mais le vent est âpre. As-tu prévu le menu du souper ?
— Oui. Potage, petits pains, poisson à la sauce verte que tu aimes tant. On utilisera encore des fines herbes séchées, bien sûr, mais j’ai inspecté aujourd’hui le jardin d’aromates, et je pense que nous en aurons des fraîches dès le début du printemps.
— Excellent. J’ai appris que tu t’étais aussi plongée dans les livres de comptes, comme il se doit. Dale et Brockley commencent-ils à se sentir chez eux ?
— Petit à petit. Mme Montaigle ne nous aime pas, mais elle ne nous cause pas de difficulté. Elle garde simplement ses distances.
Mme Montaigle, la femme de charge, considérait que j’avais failli à ma promesse envers Matthew au point de mettre sa vie en danger. Il faudrait des années pour qu’elle se radoucisse, à supposer que ce fût possible.
— Elle vieillit, dit Matthew. L’an prochain, je l’encouragerai à se retirer dans une des chaumières, à côté du vignoble. Elle m’a servi avec dévouement, mais tu seras plus à l’aise sans elle, ma Cuiller à sel. Au printemps, je te montrerai les vignes. Tu
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