Le prix du secret
Angleterre, c’était regagner la cour d’Élisabeth, qui s’était servie de moi d’une manière que je ne croyais pas pouvoir pardonner un jour.
Mais… Mais… Il y avait tant de « mais » ! J’étais en proie à des émotions si violentes et contradictoires que je craignais d’en être anéantie.
J’avais aimé Élisabeth pour nombre de raisons, dont l’une était notre tendance commune à souffrir de nuits blanches et de migraines, qui créait un lien entre nous. Ces deux maux étaient venus m’accabler. Je ne fermai pas l’œil de toute la nuit suivante, ne tombant dans un lourd sommeil qu’à l’approche de l’aube et me réveillant, moins d’une heure plus tard, affligée d’un mal de tête effroyable.
On eût dit qu’un étau m’emprisonnait le front et broyait tous les os de mon crâne. Plus tard dans la journée, je vomis, mais le soulagement fut de courte durée avant que le cycle ne recommence avec un regain de violence.
Dale, encore chancelante, se leva et prit soin de moi, m’apportant la tisane à la camomille qui m’aidait quelquefois. Je la rejetai aussitôt avalée. Si intense était ma douleur que je dormis à peine la nuit suivante. Au matin j’étais désespérée, les muscles endoloris par ces nausées répétées et la tête vibrant telle une cloche. J’eus des visiteurs : mon beau-père, Jenkinson, Sidney, tous préoccupés mais sans rien d’utile à suggérer. Ils s’en allaient, secouant la tête avec inquiétude. Dale se désespérait.
— Oh, madame, comment pourrais-je vous aider ? Qui peut vous soulager ? Dois-je appeler un médecin ?
— Surtout pas. Il me saignerait et me prescrirait un remède dégoûtant, comme une souris enrobée de miel, répondis-je, tâchant de sourire.
Aussitôt je m’emparai de la bassine, car cette simple idée avait suffi à provoquer le désastre.
J’avais besoin d’aide, c’était certain, mais pas sous forme de remèdes ou de potions. Il me fallait un conseil, donné par une personne solide et raisonnable, en qui je pouvais me fier.
— Dale, amenez-moi Brockley. Je veux lui parler.
Il était resté dans les parages, quoique, par délicatesse, il ne fût pas venu me voir sur mon lit de douleur. Il entra d’un pas vif, heureux de se rendre utile.
— Madame, je suis tellement désolé… ! Vous souhaitez me voir ? Que puis-je faire ?
— Oui. Dale, voulez-vous garder la porte ? Je ne veux pas qu’on entre ni qu’on entende ce que je vais dire. Brockley pourra tout vous répéter ensuite, ce n’est pas un secret pour vous. Mais cela doit rester entre nous.
Dale m’adressa une petite révérence d’un air de conspirateur et sortit, fermant avec énergie la porte derrière elle.
— Asseyez-vous au bord du lit, Brockley, et écoutez bien.
— Je suis tout ouïe, madame.
C’était une de ses rares plaisanteries, une tentative pour faire sourire la malade. Je lui en fus reconnaissante. Sa silhouette était un peu brouillée car je n’arrivais pas à concentrer mon regard, mais si quelqu’un au monde était capable de me dire quoi faire, c’était Roger Brockley.
— J’ai été trahie, par la reine et par Cecil, et d’une manière que j’aurais peine à croire si mon beau-père ne me l’avait confirmée. C’est encore pis que je ne supposais. J’ignorais tout bonnement à quel point ils voulaient des informations, et jusqu’où ils iraient pour s’emparer de Matthew. Je pensais que Cecil profitait de ma venue en France. Il n’en est rien. Tout mon voyage, depuis le début, était conçu pour que je serve d’appât. Il n’y avait nul besoin d’adresser une lettre à la reine Catherine, de faire de moi un émissaire secret. Ce message tracé d’une si belle plume n’était qu’une ruse tortueuse bien dans l’esprit des Tudors.
Amère, je lui narrai tous les détails du plan.
— J’ai contribué à sa réussite en attirant Matthew. J’ai joué leur jeu, Brockley, à mon insu. Et ainsi, je nous ai fait courir un immense péril, surtout à Fran. Je le regrette tant !
— Vous ne pouviez pas le savoir, madame.
— Non. Jamais je n’aurais pensé qu’Élisabeth se servirait de moi. Cecil, soit, mais pas elle !
— C’est la reine, madame. À ses yeux, l’Angleterre doit passer avant tout.
— Je le conçois. Néanmoins, profiter de ce qui unit un homme et une femme… ! Certaines choses ne devraient-elles pas être sacrées, même dans l’intérêt d’un
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