Le quatrième cavalier
Combien sont-ils ?
Pas plus d’un millier. Nous en avons tué quelques-uns, et les autres doivent
être morts durant l’hiver.
— Nous pensons qu’ils sont huit cents, répondit Harald
à contrecœur.
— Et combien d’hommes compte la fyrd ? Deux
mille ?
— Dont seulement quatre cents guerriers.
C’était probablement vrai. La plupart des hommes de la fyrd étaient des fermiers, alors que tous les Danes sont des guerriers, mais
Svein n’aurait jamais lancé ses huit cents hommes contre deux mille. Il avait
donc conclu une trêve avec Odda, afin de se remettre de sa défaite à Cynuit. Ses
hommes pouvaient se reposer, se nourrir, fabriquer de nouvelles armes et
acheter des chevaux.
Je lui annonçai alors qu’Alfred avait échappé à Guthrum et
se trouvait dans le grand marais.
— Et peu après Pâques, nous rassemblerons les fyrds du comté et nous taillerons Guthrum en pièces. Il n’y aura plus de chevaux
vendus à Svein, dis-je d’une voix forte afin que tout le monde m’entende dans
la grande salle.
— Mais… commença Harald.
— Quels sont les ordres du roi ? demandai-je à
Steapa.
— Plus de chevaux, tonna-t-il.
Il y eut un silence et Harald fit un signe agacé au harpiste,
qui entama un air mélancolique. Quelqu’un commença à chanter mais, nul ne se
joignant à lui, se tut.
— Je dois aller voir les sentinelles, dit Harald.
Il me jeta un regard interrogateur que je pris pour une
invitation à l’accompagner. Je descendis donc avec lui la longue rue d’Ocmundtun,
où trois lanciers montaient la garde près d’une cabane de bois. Harald leur
parla, puis il m’entraîna plus loin. La lune éclairait la vallée et la route
déserte.
— J’ai trente hommes armés, avoua-t-il soudain.
Il me faisait comprendre qu’il était trop faible pour
combattre.
— Combien d’hommes possède Odda à Exanceaster ? demandai-je.
— Cent, cent vingt…
— La fyrd aurait dû être levée.
— Je n’ai pas eu d’ordres.
— En as-tu demandé ?
— Bien sûr ! s’agaça-t-il. J’ai dit à Odda que
nous devions repousser Svein, mais il n’a rien voulu entendre.
— T’a-t-il dit que le roi ordonna la levée de la fyrd ?
— Non. Nous n’avons eu nulle nouvelle d’Alfred, hormis
qu’il avait été vaincu et se cachait. Nous avons appris que les Danes étaient
par tout le Wessex et que d’autres se rassemblaient en Mercie.
— Odda n’a pas songé à attaquer Svein quand il a
débarqué ?
— Il a songé à se protéger et m’a envoyé à la Tamur.
La Tamur était la rivière qui séparait le Wessex du
Cornwalum.
— Les Bretons se tiennent tranquilles ? demandai-je.
— Leurs prêtres leur disent de ne point nous combattre.
— Mais prêtres ou pas, ils traverseront la rivière si
les Danes semblent près de vaincre.
— Ne sont-ils point déjà victorieux ? demanda-t-il
amèrement.
— Nous sommes encore hommes libres.
— Svein m’effraie, avoua-t-il brusquement.
— C’est un homme effrayant, concédai-je.
— Il est rusé, puissant et féroce.
— C’est un Dane, ironisai-je.
— Un homme sans scrupule.
— Certes, convins-je. Et penses-tu qu’après l’avoir
nourri, abrité et approvisionné en chevaux, il te laissera en paix ?
— Non, mais Odda le croit.
Certes, Odda était un sot. Il nourrissait en son sein un
louveteau qui le déchiquetterait une fois devenu assez fort.
— Pourquoi Svein n’a-t-il point marché au nord pour
rejoindre Guthrum ? demandai-je.
— Je l’ignore.
Moi, je le savais. Guthrum avait déjà vainement tenté de
prendre le Wessex. On l’appelait Guthrum le Malchanceux, et il n’avait point
changé. Il était riche, menait maints hommes, mais il était plein de précaution.
Svein, originaire des comptoirs norses d’Irlande, était bien différent. Plus
jeune et moins riche que Guthrum, il menait moins d’hommes, mais il était sans
nul doute un bien meilleur guerrier. À présent, privé de ses navires, il était
affaibli. Il avait néanmoins convaincu Odda le Jeune de lui offrir refuge et
rassemblait ses forces. Svein était bien plus dangereux que Guthrum, et Odda le
Jeune ne faisait que le rendre plus redoutable encore.
— Demain, dis-je, nous commencerons à lever la fyrd. Tels sont les ordres du roi.
Harald hocha la tête. Je ne voyais pas son visage dans l’obscurité,
mais je ne le sentais point heureux.
— J’enverrai le message, dit-il, mais Odda
Weitere Kostenlose Bücher