Le quatrième cavalier
pourrait
bien empêcher la fyrd de se rassembler. Il a conclu sa trêve avec Svein
et ne la voudra point rompre. On lui obéit avant de m’obéir à moi.
— Et son père ? On lui obéit ?
— Oui, mais il est souffrant. Tu l’as vu. C’est un
miracle qu’il soit en vie.
— Peut-être parce que mon épouse le soigne ?
— Oui. (Il se tut. Il y avait quelque chose de bizarre,
un malaise inexprimé.) Ton épouse le soigne bien, acheva-t-il gauchement.
— Il est son parrain.
— Oui-da.
— C’est bon de la voir. Et ce sera bon de voir mon fils,
ajoutai-je avec plus de sincérité.
— Ton fils…
— Il est là, n’est-ce pas ?
— Oui. (Harald frémit. Il se détourna, puis il
rassembla son courage et me regarda.) Ton fils, seigneur Uhtred, est dans le
cimetière.
Il me fallut un moment pour comprendre, et je restai
interdit. Je touchai mon amulette.
— Dans le cimetière ?
Harald fixa la rivière baignée par la lune, argentée sous
les arbres noirs.
— Ton fils est mort. Il s’est étouffé, ajouta-t-il
comme je ne répondais point.
— Étouffé ?
— Avec un caillou. Ce n’était qu’un enfant. Il a dû le
ramasser et l’avaler.
— Un caillou ?
— Une femme était avec lui, mais… Elle a tenté de le
sauver, en vain. Il est mort.
— Le jour de la Saint-Vincent.
— Tu le savais ?
— Non, je l’ignorais.
Mais c’était le jour de la Saint-Vincent qu’Iseult avait
fait passer le fils d’Alfred, l’Ætheling Edward, dans le tunnel de terre. Et
elle m’avait dit que, quelque part, un enfant devait mourir pour que l’héritier
royal, l’Ætheling, puisse vivre.
Et cela avait été mon fils. Uhtred le Jeune. Que je
connaissais à peine. Edward avait reçu le souffle de vie, et Uhtred s’était
étouffé et débattu avant de mourir.
— Je suis désolé, dit Harald. Ce n’était pas à moi de
te le dire, mais il fallait que tu le saches avant de revoir Mildrith.
— Elle me hait.
— Oui, elle te hait. Je pensais qu’elle deviendrait
folle de chagrin, mais Dieu l’a protégée. Elle aimerait…
— Quoi donc ?
— Rejoindre les nonnes de Cridianton. Quand les Danes
partiront. Il y a un petit couvent, là-bas.
Je m’en moquais.
— Et mon fils est enseveli ici ?
— Sous l’if, près de l’église, là-bas.
Qu’il y reste, pensai-je. Qu’il repose dans sa petite tombe
et attende le chaos de la fin du monde.
— Demain, nous lèverons la fyrd.
Car il y avait un royaume à sauver.
Des prêtres rédigèrent les ordres de levée de la fyrd. La
plupart des thanes ne savaient point lire, et auraient du mal à déchiffrer ces
quelques lignes, mais les messagers leur diraient ce que contenaient les
parchemins. Ils devaient armer leurs hommes et les mener à Ocmundtun, et le
cachet de cire sur ces ordres en attestait l’autorité : il représentait le
cerf des armes d’Odda l’Ancien.
— Il faudra une semaine pour que la plus grande partie
de la fyrd arrive, m’avertit Harald. Et l’ealdorman tentera de l’en
empêcher.
— Que fera-t-il ?
— Il dira sans doute à ses thanes de ne pas en tenir
compte.
— Et Svein, que fera-t-il ?
— Il tentera de nous occire.
— Et ses huit cents hommes peuvent être ici demain.
— J’en ai trente, se lamenta-t-il.
— Mais nous avons une forteresse, dis-je en désignant
la crête fortifiée.
Je ne doutais pas que les Danes viennent. En mandant la fyrd, nous menacions leur sécurité, et Svein n’était pas homme à prendre
une menace à la légère. Aussi, les habitants de la ville reçurent ordre d’apporter
leurs biens de valeur dans le fort. Certains furent assignés à renforcer la palissade.
D’autres emmenèrent le bétail dans la lande pour que les Danes ne s’en emparent
point. Steapa visita tous les hameaux voisins et demanda que les hommes en âge
de combattre se rendent à Ocmundtun avec leurs armes. À la fin de l’après-midi,
il y en avait quatre-vingts dans le fort. Peu étaient des guerriers, la plupart
n’avaient qu’une hache, mais du pied de la colline ils semblaient suffisamment
redoutables. Les femmes apportèrent des vivres, et presque tout le monde décida
d’y dormir, malgré la pluie, de peur que les Danes ne viennent dans la nuit.
Odda l’Ancien refusa de se réfugier au fort. Il était trop
souffrant et trop faible, disait-il, et s’il devait mourir, il préférait que ce
soit au château d’Harald. Nous tentâmes
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