Le quatrième cavalier
m’approche de lui ; je restai donc au loin, me demandant si je devais
le presser de reprendre la route. Il se mit à creuser du bout de sa hache puis
à mains nues, afin d’ensevelir les ossements du chien ; le peu de fourrure
restant sur les os indiquait que le drame s’était produit des semaines plus tôt.
Steapa les ramassa et les déposa tendrement dans la tombe.
C’est alors qu’arrivèrent des gens. On peut traverser une
contrée déserte sans voir personne, mais on peut vous voir. Trois hommes
surgirent du bosquet.
— Steapa ! appelai-je.
Il se retourna, furieux que je l’aie interrompu, puis il
suivit mon regard.
Il poussa un grand cri, les trois hommes lâchèrent leurs
lances et se précipitèrent pour étreindre le grand gaillard. Ils restèrent à
parler un moment. Quand ils se furent calmés, j’en pris un à l’écart et le
questionnai. Les Danes étaient venus peu après Yule, me raconta-t-il. Soudainement,
alors que nul ne savait que des païens se trouvaient dans le Defnascir. Eux en
avaient réchappé parce qu’ils abattaient un arbre, puis ils avaient entendu les
clameurs. Depuis lors, ils se terraient dans les forêts, redoutant les Danes
qui continuaient de parcourir la région en quête de vivres. Ils n’avaient vu
nul Saxon.
Ils avaient enseveli les habitants de la ferme dans une
pâture au sud, et Steapa alla s’y recueillir.
— Sa mère est morte, m’expliqua l’homme avec un si
étrange accent que je devais le faire souvent répéter. Il était bon avec sa
mère, il lui apportait de l’argent. Elle n’était plus serve.
— Son père ?
— Il est mort il y a longtemps, très longtemps.
Craignant que Steapa exhume sa mère, j’allai le retrouver.
— Nous avons une mission, lui dis-je.
Il leva vers moi un regard sans expression.
— Des Danes à tuer. Ceux qui ont tué les gens d’ici
doivent être occis.
Il hocha soudain la tête et se releva, me dominant de nouveau
de toute sa hauteur. Il nettoya la lame de sa hache et monta en selle.
— Des Danes à tuer, répéta-t-il.
Abandonnant sa mère dans le froid de la tombe, nous partîmes
à leur recherche.
10
Nous chevauchâmes vers le sud. Prudemment, car on nous avait
dit que les Danes occupaient cette partie du comté, mais nous n’en vîmes aucun.
Steapa resta coi jusqu’au moment où, près d’une rivière, nous passâmes près d’un
cercle de pierres levées, l’un des mystères laissés par le peuple ancien. Il s’en
trouvait de par toute l’Anglie et certains étaient immenses ; mais
celui-ci se composait d’une vingtaine de pierres couvertes de lichen et guère
plus hautes qu’un homme, formant un cercle d’une quinzaine de pieds.
— C’est un mariage, expliqua Steapa.
— Un mariage ? répétai-je, surpris de l’entendre m’adresser
la parole.
— Ils dansaient, grommela-t-il, et le Diable les a
transformés en pierres.
— Et pourquoi a-t-il fait cela ? demandai-je
prudemment.
— Parce qu’ils se sont mariés un dimanche, évidemment. Il
ne faut pas le faire le dimanche, jamais ! Tout le monde le sait. (Nous
continuâmes en silence, puis, me surprenant encore, il me parla de sa mère et
de son père qui avaient été des serfs d’Odda l’Ancien.) Mais nous avions une
bonne vie, dit-il.
— Vraiment ?
— Labours, semailles, arrachage des mauvaises herbes, moissons,
battage du blé.
— Mais l’ealdorman Odda ne vivait point là-bas, dis-je,
indiquant d’un geste la direction de la ferme incendiée.
— Non, pas lui ! répondit-il, amusé que je dise
cela. Il n’habitait point là-bas. Il avait un grand château à lui. Il l’a
encore. Mais il y avait un régisseur à la ferme pour nous donner des ordres. Un
grand costaud.
— Mais ton père était petit ? avançai-je
prudemment.
— Comment tu le sais ? s’étonna-t-il.
— J’ai deviné.
— C’était un bon ouvrier, mon père.
— Il t’a enseigné à te battre ?
— Pas lui. Personne ne m’a enseigné. J’ai appris seul.
Plus nous avancions, moins la région était dévastée. Et c’était
étrange, car les Danes y étaient passés. La vie semblait normale. Des hommes épandaient
du fumier dans les champs, d’autres creusaient des fossés ou taillaient des
haies. Des agneaux paissaient dans les prés. Au nord, les renards s’étaient
engraissés, mais ici les bergers et leurs chiens se défendaient.
Et les Danes étaient à Cridianton.
Un prêtre nous apprit
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