Le quatrième cavalier
conseil. Nul ne voulait mander Iseult, craignant ce qu’elle dirait. Alfred
devait deviner que ce procès, déjà criblé de mensonges, ne pouvait qu’empirer.
— Tu es doué, Bout-de-Cul, murmura Leofric. Fort doué.
Odda le Jeune considéra le roi, puis ses confrères du witan, et dut comprendre que j’échappais à son traquenard. Il attira Steapa auprès
de lui et lui chuchota à l’oreille. Le roi fronçait les sourcils, l’archevêque
semblait perplexe, Ælswith était rouge de fureur et Erkenwald ne savait que
faire. Steapa vint à leur secours.
— Je ne mens point ! cria-t-il.
Il ne semblait savoir que dire de plus, mais il avait attiré
l’attention de tous. Le roi lui fit signe de continuer, et Odda le Jeune lui
murmura à l’oreille.
— Il dit que je mens, reprit Steapa en me désignant. Et
moi je dis que non, et mon épée dit que non.
Il se tut, ayant probablement prononcé plus long discours
que jamais dans sa vie, mais ce fut suffisant. Tout le monde tapa du pied en
criant qu’il avait raison. C’était faux, mais il venait de réduire cet amas
visqueux de mensonges à un combat singulier et cela leur plut. L’archevêque
semblait troublé, mais Alfred réclama le silence d’un geste.
— Alors ? demanda-t-il en me regardant. Steapa dit
que son épée défend la vérité. Et la tienne ?
J’aurais pu répondre non. J’aurais pu exiger qu’Iseult parle
puis laisser le witan déclarer au roi qui avait dit vrai, mais j’étais impétueux
et l’invitation au combat simplifiait les choses. Si j’étais victorieux, Leofric
et moi étions innocents de tout.
Je n’imaginais même pas perdre et regardai Steapa.
— Mon épée, lui dis-je, soutient que je dis la vérité
et que tu n’es qu’un sac de pets, un menteur de l’enfer, un traître et un
parjure méritant la mort.
— Et nous y revoilà jusqu’au cou, fit Leofric.
Des vivats s’élevèrent. Tout le monde adorait les combats à
mort, bien plus distrayants que le harpiste d’Alfred chantant des psaumes. Le
roi hésita et je vis le regard d’Ælswith aller de Steapa à moi. Elle devait le considérer
meilleur guerrier, car elle se pencha vers son époux et lui chuchota à l’oreille.
Il opina.
— Accordé, dit-il d’un ton las, comme fatigué par ce
déballage de mensonges et d’insultes. Vous vous battrez demain. Épées et boucliers,
rien de plus. (Il leva la main pour rétablir le silence.) Seigneur Wulfhere ?
— Sire ?
— Tu organiseras le combat. Et que Dieu accorde la
victoire à la vérité.
Sur ces mots, il se leva, releva sa robe et sortit.
Et pour la première fois depuis que je le connaissais, je
vis Steapa sourire.
— Tu n’es qu’un fichu sot ! me dit Leofric.
Il avait été libéré et autorisé à passer la soirée avec moi.
Nous étions avec Haesten, Iseult et mes hommes qui nous avaient rejoints. Nous
étions logés chez le roi dans une étable empestant le crottin, mais je ne
remarquais point la puanteur. Nous étions à la Douzième Nuit, il y avait un
grand festin chez le roi, et nous étions abandonnés dans le froid sous la garde
de deux soldats du roi.
— Steapa est fort, m’avertit-il.
— Et moi aussi.
— Plus que toi. Il va te massacrer.
— Point, dit calmement Iseult.
— Dieu me damne, il est fort ! insista Leofric.
J’étais de son avis.
— C’est la faute de ce damné moine, fulminai-je. Il est
allé geindre auprès d’Alfred, hein ?
En fait, Asser avait été envoyé par le roi de Dyfed pour
assurer les Saxons de l’Ouest qu’il ne fomentait point la guerre, mais Asser
avait profité de cette ambassade pour raconter l’histoire del’ Eftwyrd. Il n’avait plus fallu grand-chose pour conclure que nous étions restés avec
Svein quand il avait attaqué Cynuit. Alfred n’avait nulle preuve de notre
culpabilité, mais Odda le Jeune avait vu là l’occasion de m’anéantir et
persuadé Steapa de mentir.
— Et elle a beau dire, Steapa va t’occire, grommela
Leofric.
Iseult ne prit pas la peine de lui répondre. Elle frottait
ma cotte de mailles avec de la paille. On était allé la chercher à l’Épi, mais
je devais attendre le lendemain pour récupérer mes armes. Je ne pourrais donc
point les affûter. Comme Steapa était un homme d’Odda le Jeune, il faisait
partie des gardes du roi et aurait tout le temps d’aiguiser les siennes. Les
cuisines royales nous avaient apporté à manger, mais je n’avais nul
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