Le quatrième cavalier
appétit.
— Reste calme demain matin, me conseilla Leofric.
— Calme ?
— Tu te bats toujours dans la fureur, et Steapa est
toujours calme.
— Alors autant être en fureur.
— C’est ce qu’il cherche. Il va t’esquiver et t’esquiver
jusqu’à t’épuiser, puis il t’achèvera. C’est ainsi qu’il se bat.
Harald nous le confirma. C’était le bailli du Defnascir, le
veuf qui m’avait mandé à la cour de justice d’Exanceaster, mais il avait aussi
combattu avec nous à Cynuit et cela créait un lien. Dans la nuit, il traversa
la cour embourbée sous la pluie pour nous rejoindre autour du petit feu qui
éclairait l’étable sans la réchauffer.
— Étais-tu avec Svein à Cynuit ? me demanda-t-il
depuis le seuil.
— Non.
— C’est bien ce que je pensais.
Il vint s’asseoir auprès du feu, sans prêter attention aux
deux soldats qui gardaient la porte, et cela me mit la puce à l’oreille. Ils
servaient Odda, et le jeune ealdorman ne serait point heureux d’apprendre qu’Harald
était venu nous voir. Pourtant, Harald semblait juger qu’ils n’en diraient rien,
ce qui laissait supposer des mécontentements dans les rangs d’Odda.
— Steapa est assis à la table du roi, dit-il en posant
à terre un pichet d’ale.
— Il mangera donc fort mal, dis-je.
Harald acquiesça sans sourire.
— Ce n’est guère un festin, admit-il. Comment va
Mildrith ?
— Bien.
— C’est une bonne fille, dit-il en fixant un instant la
sombre beauté d’Iseult. Il y aura un office à l’aube, puis tu combattras Steapa.
— Où ?
— Dans un champ de l’autre côté de la rivière, dit-il
en poussant le pichet vers moi. Il est gaucher.
Je ne me rappelais pas avoir jamais combattu un homme
gaucher, mais je ne voyais pas non plus l’inconvénient. Nos boucliers seraient
face l’un à l’autre plutôt qu’à nos armes, mais le problème serait le même pour
les deux. Je haussai les épaules.
— Il a l’habitude, pas toi. Et sa cotte de mailles
descend jusqu’aux mollets. Et il a une bande d’acier dans sa botte gauche.
— Parce que c’est son pied le plus faible ?
— Il le tend en avant pour t’inciter à attaquer, et c’est
là qu’il te tranche le bras de l’épée.
— C’est donc un homme difficile à tuer.
— Personne n’y est encore parvenu, dit Harald d’un ton
lugubre.
— Tu ne l’aimes point ?
Il prit le temps de boire une gorgée d’ale et de passer le
pichet à Leofric.
— J’aime le vieux Odda. Il a mauvais caractère, mais il
est juste. Son fils ? Je crois qu’il n’a pas fait ses preuves. Steapa ?
Je ne le déteste point, mais il est comme un chien. Il ne sait que tuer.
Je fixai le pauvre feu, cherchant un signe des dieux dans
les petites flammes. Je ne vis rien.
— Il doit tout de même s’inquiéter, dit Leofric.
— Steapa ? demanda Harald. Que redouterait-il ?
— Uhtred a occis Ubba.
— Steapa ne réfléchit pas assez pour s’inquiéter. Il
sait seulement qu’il tuera Uhtred demain.
Je repensai à mon combat contre Ubba. C’était un grand
guerrier, dont la réputation était connue partout où allaient les Norses, et je
l’avais tué, mais en vérité il avait posé le pied sur les tripes d’un homme
éventré et avait glissé, perdu l’équilibre. J’avais alors pu lui couper les
tendons du bras. Je portai la main à mon amulette et songeai que les dieux m’avaient
finalement envoyé un signe.
— Une bande d’acier dans sa botte ? répétai-je.
— Oui. Peu lui chaut que tu l’attaques. Il sait que tu
viendras de sa gauche et il parera tous tes coups de son épée. Elle est grosse
et lourde. Si quelques-uns portent, il s’en souciera peu. Tu t’épuiseras sur l’acier.
Cotte de mailles, casque, botte, peu importe. Ce sera comme de frapper un chêne,
et tu finiras par commettre une faute. Lui aura quelques bleus, et toi tu seras
mort.
Il avait raison. Frapper un homme en armure avec une épée ne
donnait jamais que des bleus, car le coup était amorti par la maille ou le
casque. Une lame ne peut entailler la maille, c’est pourquoi tant d’hommes
étaient armés d’une hache sur le champ de bataille. Les règles du combat
singulier, elles, prescrivaient l’usage de l’épée. Sa pointe pouvait percer la
maille, mais Steapa n’allait point s’y prêter aussi facilement.
— Est-il vif ? demandai-je.
— Assez, mais moins que toi, concéda-t-il. Pas lent
pour
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