Le quatrième cavalier
tourna vers moi.
C’était l’Âne, Asser, le moine gallois. Il me fixa tandis qu’un
autre prêtre apportait l’Évangile, sur lequel il posa la main.
— Je fais serment, dit-il sans me quitter les yeux, de
dire la vérité. Dieu me vienne en aide en cette entreprise et me condamne aux
feux éternels de l’enfer si je faux.
Il se pencha et baisa l’Évangile avec une tendresse d’amant.
— Bâtard, murmurai-je.
Asser était un bon témoin. Il décrivit clairement comment j’étais
arrivé en Cornwalum à bord d’un navire orné de têtes de fauve à la proue et la
poupe. Il expliqua que j’avais accepté d’aider le roi Peredur, attaqué par un
voisin allié au païen Svein, et comment je l’avais trahi en concluant une
alliance avec le Dane.
— Ensemble, ils ont fait grand massacre, et j’ai
moi-même vu un saint prêtre être mis à mort.
— Tu as décampé comme une poule mouillée, lui dis-je. Tu
n’as rien vu.
Asser se retourna vers le roi et s’inclina.
— J’ai couru, notre seigneur et roi. Je suis un moine
et non un guerrier. Lorsque Uhtred a rougi de sang chrétien la colline, j’ai
pris la fuite. Je n’en suis point fier, notre seigneur et roi, et j’ai demandé
avec ferveur à Dieu de me pardonner ma couardise.
Alfred sourit et l’archevêque balaya d’un geste la remarque
d’Asser comme si elle n’avait aucune importance.
— Et après que tu eus fui le carnage ? interrogea
Erkenwald.
— J’ai tout observé du haut de la colline, et vu Uhtred
d’Oxton quitter les lieux en compagnie du navire païen. Ils sont partis vers l’ouest.
— L’ouest ? répéta Erkenwald.
— L’ouest, confirma Asser.
— Et tu n’en sais pas plus ?
— Je sais que j’ai aidé à ensevelir les morts, et dit
des prières pour leurs âmes. J’ai vu les braises fumantes de l’église incendiée,
mais ce qu’Uhtred a fait après avoir quitté le lieu du massacre, je l’ignore. Je
sais seulement qu’il est parti vers l’ouest.
Alfred faisait exprès de ne pas participer, mais il était
évident qu’il appréciait Asser : quand le Gallois en eut terminé, il lui
fit signe d’approcher et lui remit une pièce après avoir brièvement conversé
avec lui. L’assistance discutait en me regardant de temps en temps avec la
curiosité accordée à ceux qui sont condamnés d’avance.
— As-tu quelque chose à dire ? me demanda
Erkenwald quand Asser fut sorti.
— J’attendrai que tous les mensonges aient été dits.
La vérité, bien sûr, c’était Asser qui l’avait dite, simplement
et de manière convaincante. Les conseillers du roi avaient été impressionnés, tout
comme ils le furent par le deuxième témoin.
C’était Steapa Snotor, le guerrier qui n’était jamais bien
loin d’Odda le Jeune. Droit comme un I, les épaules carrées, une expression
féroce et sinistre, il me jeta un coup d’œil, s’inclina devant le roi, posa la
main sur l’Évangile pour prêter serment… et mentit. Il débita ses mensonges d’une
voix calme et monocorde. Il déclara qu’il commandait les soldats gardant le
chantier de l’église de Cynuit. Deux navires arrivés à l’aube avaient débarqué
des guerriers. Il avait combattu et il en avait tué six. Cependant, ils étaient
bien trop nombreux, tant qu’il avait dû battre en retraite, mais il les avait
vus massacrer les prêtres. Puis le chef des païens avait clamé son nom.
— Il s’appelait Svein.
— Et il est venu sur deux navires ?
Steapa fronça les sourcils comme s’il avait peine à compter
jusqu’à deux, puis il acquiesça.
— Il avait deux navires.
— Il commandait les deux ?
— Svein commandait l’un, et lui commandait l’autre, dit-il
en tendant le bras vers moi.
Une clameur s’éleva dans l’assistance, Alfred frappa l’accoudoir
de son siège pour rétablir le silence. Steapa restait de marbre, solide comme
un chêne. Bien qu’il n’eût pas été aussi convaincant que le frère Asser, son
témoignage était accablant. D’un ton calme et posé, il s’en était tenu aux
faits, mais rien n’était vrai.
— Uhtred menait le deuxième navire, dit Erkenwald, mais
a-t-il participé au massacre ?
— Participé ? répéta Steapa. Il a pris la tête !
— Notre seigneur et roi, dit Erkenwald, il doit mourir.
— Et que ses terres et biens soient confisqués ! s’écria
l’archevêque avec une telle passion qu’il en postillonna sur le brasier.
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