Le quatrième cavalier
nous battrons. (Il leva les yeux vers moi sans
répondre et je haussai les épaules.) Nous nous battrons, répétai-je.
Alfred contempla le marais.
— Trouver un navire, murmura-t-il d’une voix si basse
que je l’entendis à peine. Trouver un navire et passer en Franquie. (Il ramena
sa cape sur son corps maigre. La neige tombait de plus en plus drue et fondait
en touchant l’eau noire. Les Danes avaient disparu.) C’était Guthrum ? me
demanda-t-il.
— Oui. Et il savait que c’était vous qu’il pourchassait ?
— Sans doute.
— Il vous veut mort. Ou captif.
Pourtant, pour l’heure nous étions en sécurité. Le village
se composait d’une vingtaine de huttes chaumées de roseaux et de quelques
greniers sur pilotis. Les cabanes étaient couleur de boue, les rues de boue et
les gens couverts de boue, mais, si pauvre que fût l’endroit, nous pûmes y
trouver vivres, abri, et une maigre chaleur. Les villageois, voyant les
réfugiés, avaient décidé de les secourir. Je soupçonne qu’ils comptaient nous
détrousser plutôt que nous sauver. Mais Leofric et moi paraissions redoutables
et quand ils eurent compris que le roi était leur hôte, ils firent de leur
mieux pour l’accueillir. L’un d’eux, dans un dialecte que je compris à peine, voulait
connaître le nom du roi. Il n’avait jamais entendu parler d’Alfred. Il
connaissait les Danes, mais disait que leurs navires n’avaient jamais atteint
le village ni aucun autre du marais. Il nous expliqua qu’ils vivaient de cerfs,
chèvres, poissons, anguilles et gibier d’eau qu’ils avaient en abondance, mais
guère de bois à brûler.
Ælswith était grosse de son troisième enfant.
Edward, l’héritier d’Alfred, avait trois ans. Il était
malade. Il toussait et Ælswith craignait pour lui, bien que l’évêque Alewold
prétendît que c’était un simple rhume d’hiver. La sœur aînée d’Edward, Æthelflæd,
avait maintenant six ans, des boucles dorées, un sourire enjôleur et des yeux
vifs. Alfred l’adorait, et durant les premiers jours dans le marécage elle fut
son unique rayon de soleil et d’espoir. Une nuit que nous étions assis près du
feu mourant et qu’elle dormait, la tête posée sur les genoux de son père, Alfred
me demanda des nouvelles de mon fils.
— J’ignore où il est.
Les autres dormaient et j’étais assis près de la porte, contemplant
le marais noir où se reflétait la lune.
— Tu veux aller à sa recherche ? me demanda-t-il.
— Ces gens vous donnent abri, mais ils auraient tôt
fait de vous couper la gorge. Ils n’en feront rien tant que je suis ici.
Il allait protester, puis il comprit que j’avais sans doute
raison. Il caressa les cheveux de sa fille. Edward toussa. Alfred frémit en l’entendant.
— As-tu combattu Steapa ? demanda-t-il.
— Nous avons combattu, répondis-je sèchement. Les Danes
sont arrivé et nous n’avons pu achever. Il saignait, moi pas.
— Il saignait ?
— Demandez à Leofric. Il y était.
Il resta longtemps sans rien dire, puis :
— Je suis toujours roi, dit-il doucement. (D’un marais,
songeai-je sans répondre.) Et il est d’usage d’appeler un roi « seigneur »,
continua-t-il.
Je me contentai de fixer son visage maigre et pâle éclairé
par le feu mourant. Il semblait solennel, et effrayé, comme s’il s’efforçait de
se cramponner à ce qui restait de sa dignité. Alfred ne manquait jamais de
courage, mais il n’était point un guerrier et n’aimait guère la compagnie des
guerriers. À ses yeux, j’étais une brute, dangereuse, sans intérêt, mais
soudain indispensable. Il savait que je n’allais point l’appeler seigneur, et n’insista
pas.
— Qu’as-tu remarqué sur ces lieux ? demanda-t-il.
— C’est trempé, répondis-je.
— Est-ce tout ?
Je cherchai vainement le piège de sa question.
— On ne les peut rejoindre qu’en barque et les Danes n’en
ont point. Mais quand ils en auront, il faudra plus que Leofric et moi pour les
repousser.
— Il n’y a point d’église, dit-il.
— Je savais bien que cela me plaisait, ici, répliquai-je.
— Nous savons si peu de choses sur notre propre royaume,
dit-il, émerveillé. Je pensais qu’il se trouvait des églises partout. (Il ferma
un instant les yeux, puis me regarda d’un air plaintif.) Que dois-je faire ?
Ce matin, je lui avais dit de se battre, mais je ne voyais
plus en lui à présent aucun désir de combattre, seulement du
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