Le quatrième cavalier
j’aurais
aimé !
Son visage maigre prit l’expression respectueuse qu’il
adoptait chaque fois que l’on parlait d’elle. Il sembla regretter d’avoir été
si dur avec moi, car il fit un geste de conciliation.
— C’était une femme merveilleuse, dit-il.
Je lui souris. Quand j’y repense, à cet instant j’aurais pu
changer facilement de camp, et Guthrum m’aurait accueilli si j’avais comblé sa
mère d’un compliment, mais j’étais un jeune homme impétueux gagné par la joie
de la bataille.
— J’aurais craché au visage de ce laideron, lançai-je, et
maintenant je pisse sur son âme et je te dis que les fauves de Niflheim
troussent ses vieux os pourris.
Il poussa un hurlement de fureur et tous chargèrent, pataugeant
dans l’eau, cherchant à venger l’affreuse insulte. Leofric et moi courions
comme des sangliers traqués et traversions les roseaux vers la dernière barque.
Les deux premières étaient déjà parties, mais la troisième nous attendait. Lorsque
nous nous jetâmes à plat ventre dessus, l’homme donna un violent coup de perche
et elle s’élança sur l’eau noire.
— Je te retrouverai ! cria Guthrum.
— Peu me chaut ! répliquai-je en brandissant
Souffle-de-Serpent et en baisant sa lame ensanglantée. Tes hommes ne savent que
mourir, et ta mère était une putain pour les nains !
— Tu aurais dû laisser un homme en vie, dit une voix
derrière moi. Car je voulais l’interroger. (Il n’y avait qu’un seul passager
sur cette barque en dehors de Leofric et moi : le prêtre armé d’une épée.)
Il n’était point nécessaire de le tuer, me dit-il sévèrement.
Je le regardai avec une telle fureur qu’il se tut. Damnés
soient tous ces prêtres, songeai-je. Je venais de sauver la vie de ce gueux, et
il ne trouvait rien de mieux que de me réprimander. Je vis alors que ce n’était
nullement un prêtre.
C’était Alfred.
La barque glissait sur le marais, traversant çà et là les
roseaux. L’homme qui la menait était un être voûté et édenté à la peau mate, avec
une énorme barbe, des vêtements en peau de loutre. Loin derrière nous, les
Danes de Guthrum emportaient leurs morts sur la terre ferme.
— Je dois connaître leurs intentions, me reprocha
Alfred. Un prisonnier nous l’aurait dit.
Il se montrait respectueux. Je me rendis compte que je l’avais
effrayé avec ma cotte de mailles et mon visage ensanglantés.
— Ils comptent achever le Wessex, répondis-je sèchement.
Vous n’avez nul besoin qu’un prisonnier vous le dise.
— Seigneur…, ajouta-t-il. (Je soutins son regard.) Je
suis roi ! soutint-il. Tu t’adresseras à ton roi avec respect.
— Roi de quoi ? demandai-je.
— Vous n’êtes point blessé, seigneur ? lui demanda
Leofric.
— Non, Dieu soit loué ! (Il regarda son épée.) Dieu
merci ! (Je vis qu’il ne portait pas un froc de moine, mais une grande
cape noire. Son long visage était blême.) Merci, Leofric, dit-il.
Il leva les yeux vers moi et frissonna. Nous allions
rattraper les deux autres barques et j’y vis Ælswith, grosse et enveloppée dans
un manteau de renard argenté. Iseult et Eanflæd l’accompagnaient, alors que les
prêtres s’étaient entassés dans l’autre. Je vis que l’évêque Alewold d’Exanceaster
se trouvait avec eux.
— Qu’est-il arrivé, seigneur ? demanda Leofric.
Alfred soupira et raconta. Il avait quitté Cippanhamm avec
les siens, son garde du corps et une vingtaine de clercs pour accompagner le
moine Asser au début de son voyage de retour.
— Nous avons rendu les grâces dans l’église de Soppan
Byrg. Elle est toute neuve, et fort belle, précisa-t-il. Nous avons chanté
psaumes et dit prières, et le frère Asser a poursuivi son chemin dans la joie. Je
prie pour qu’il soit sain et sauf, conclut-il en se signant.
— J’espère que ce gueux de menteur est mort, grondai-je.
Alfred ne releva pas. Après la cérémonie, ils étaient allés
déjeuner dans un monastère voisin, et à ce moment les Danes étaient arrivés. Le
groupe royal avait fui et trouvé refuge dans les bois voisins pendant que
brûlait le monastère. Une nuit, abrités dans une ferme, ils avaient été surpris
par des soldats danes qui avaient tué quelques gardes et pris tous leurs
chevaux. Depuis lors, ils erraient, aussi perdus que nous, et avaient fini par
atteindre ce marais.
— Dieu seul sait ce qu’il adviendra de nous maintenant,
dit Alfred.
— Nous
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