Le quatrième cavalier
Ils
devaient désormais travailler chez un propriétaire dane ou, s’ils étaient jolis,
au-delà des mers chez des païens qui payaient bon argent pour les enfants
chrétiens.
Nous apprîmes que les Danes étaient venus au village peu
après la Douzième Nuit. Ils avaient tué, capturé et volé. Quelques jours plus
tard, ils étaient revenus, regagnant le Nord avec des captifs et des chevaux
volés chargés de butin. Depuis lors, les villageois n’avaient vu nul Dane
hormis ceux des bords du marais. Ceux-là ne causaient nulle peine, peut-être
parce qu’ils étaient peu nombreux et n’osaient susciter l’inimitié de la région.
Nous entendîmes la même histoire dans d’autres villages : les Danes
venaient, pillaient et repartaient vers le nord.
Mais au troisième jour, nous vîmes enfin une troupe armée
sur la voie romaine de Badum qui traverse vers l’ouest les collines. Ils
étaient près de soixante et fuyaient au galop des nuages noirs dans la nuit qui
tombait.
— Ils retournent à Cippanhamm, dit Alfred.
C’était une expédition de pillards, leurs chevaux de somme
transportaient des filets remplis de foin. Je me rappelai un hiver de mon
enfance à Readingum, lors de la première invasion des Danes en Wessex, et
combien il avait été difficile pour les hommes et les bêtes de survivre dans le
froid. Nous avions dû couper l’herbe rare et arracher le chaume des toits pour
nourrir des chevaux efflanqués et affaiblis. J’ai souvent entendu des hommes
déclarer que, pour gagner une guerre, il suffit de rassembler des hommes et de
marcher sur l’ennemi. Ce n’est jamais aussi facile, et la faim peut vaincre une
armée plus vite que des lances.
Cette nuit-là, une neige insistante, silencieuse et dense
commença à tomber.
Nous chevauchâmes donc, sabots crissant dans la neige
fraîche d’un monde devenu neuf et propre. Les moindres brindilles étaient
couvertes de neige, et les fossés et ornières étaient gelés. Je vis les traces
d’un renard dans un champ et songeai que le printemps apporterait un nouveau
fléau, car les bêtes sauvages, sans personne pour les traquer, massacreraient
les agneaux.
Nous arrivâmes en vue de Cippanhamm avant midi. Nous nous
arrêtâmes au sud de la ville, à l’endroit où une route surgissait d’un bosquet
de chênes. Les Danes durent nous apercevoir, mais personne ne sortit s’enquérir
de nous. Il faisait trop froid pour que les hommes se donnent cette peine. Je vis
des gardes sur les murailles de bois, mais personne n’y restait longtemps. Tous
se retiraient entre les rondes. Les murailles étaient ornées de boucliers ronds
peints en rouge sang, blanc, bleu, et, comme les hommes de Guthrum étaient là, en
noir.
— Nous pourrions les compter, dit Alfred.
— Cela ne servirait guère, dis-je. Ils ont chacun deux
ou trois boucliers qu’ils accrochent aux remparts pour faire croire qu’ils sont
plus nombreux.
Alfred frissonnait et j’insistai pour que nous nous mettions
à l’abri. Nous retournâmes au couvert des arbres en suivant un sentier menant à
une rivière. Une demi-lieue plus loin en amont, nous trouvâmes un moulin. La
meule avait disparu, mais le bâtiment était entier, et de bonne facture, avec
des murs de pierres et un toit de tourbe soutenu par de grosses lambourdes. Il
y avait un âtre dans la pièce où vivait la famille du meunier, mais je ne
permis point à Egwine d’allumer un feu, de peur que la fumée n’alerte les Danes.
— Attends la nuit, dis-je.
— Nous aurons eu le temps de geler, grommela-t-il.
— Nous devons nous rapprocher de la ville, dit Alfred.
— Pas vous. Moi, oui.
J’avais vu des chevaux dans un enclos à l’ouest des remparts :
je pensais prendre notre meilleure monture, m’approcher de la ville et les
compter. Cela nous donnerait une idée du nombre de Danes, car presque chacun d’eux
possédait un cheval. Alfred voulait venir, mais je refusai. Cippanhamm étant
bâtie sur une colline qu’encerclait presque entièrement la rivière, je ne
pouvais en faire le tour, mais je m’approchai au plus près des murailles et les
scrutai. Si les Danes m’aperçurent, ils ne se donnèrent point la peine de
pourchasser un seul homme et je pus trouver l’enclos où frissonnaient les
chevaux. Je passai la journée à les compter. La plupart étaient dans des champs
voisins du domaine royal, il y en avait des centaines. À la fin de l’après-midi,
je les estimai à douze cents, et
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