Le quatrième cavalier
dis-je.
Mettez cela. (Je lui jetai les bottes, le drapai dans la cape et lui en fis
baisser le capuchon.) Vous voulez mourir ? le réprimandai-je.
— Je veux en savoir plus sur mes ennemis.
— Et je me suis renseigné pour vous. Ils sont environ
deux mille.
— C’est ce que je pensais. Qu’est-ce, sur cette cape ?
— Du vomi de Dane.
Il frémit.
— Trois d’entre eux m’ont attaqué, dit-il, comme
surpris. Ils m’ont donné coups de poing et de pied.
— Vous avez de la chance qu’ils ne vous aient point tué.
— Ils m’ont pris pour un des leurs.
— Ils étaient ivres ?
— J’ai prétendu être un musicien muet, sourit-il, ravi
de son stratagème. (Comme je ne riais point, il soupira.) Ils étaient fort
ivres, mais j’ai besoin de connaître leur état d’esprit, Uhtred. Sont-ils confiants ?
Prêts à attaquer ? (Il essuya le sang de sa lèvre fendue.) Je ne pouvais
le découvrir qu’en le constatant par moi-même. As-tu vu Steapa ?
— Oui.
— Je veux le ramener avec nous.
— Seigneur, m’emportai-je, vous êtes un sot. Il est
enchaîné et gardé par une demi-douzaine d’hommes.
— Daniel fut jeté dans la fosse aux lions et s’en
échappa. Saint Paul était emprisonné, et Dieu le libéra.
— Alors, laissez Dieu s’occuper de Steapa. Vous rentrez
avec moi, et sur-le-champ.
Il se plia en deux pour soulager son ventre douloureux.
— Ils m’ont frappé au ventre, dit-il en se redressant.
(Il tressaillit en entendant de grands cris dans la cour, et je devinai que
Steapa avait trouvé la mort ou abattu son dernier adversaire.) Je veux voir mon
château, dit Alfred.
— Guthrum est là-bas ! Vous voulez qu’il vous
reconnaisse ? Vous voulez mourir ?
Il ne voulut rien entendre. Je dus donc l’accompagner en me
demandant s’il n’aurait pas été plus simple de le charger sur mon dos pour l’emporter.
Mais comme il était entêté, il se serait probablement débattu et aurait ameuté
tout le monde.
— Je me demande ce qu’il est advenu des nonnes, lança-t-il
alors que nous quittions le monastère.
— L’une d’elles est offerte à trousser pour quelques
sous, répondis-je.
— Mon Dieu, murmura-t-il en se signant et en tournant
les talons.
— C’est folie ! m’écriai-je, comprenant qu’il s’était
mis en tête de la sauver.
— C’est folie nécessaire, répondit-il. Que croit le
Wessex ? Que je suis vaincu, que les Danes sont victorieux. Il s’apprête
pour le printemps et la venue d’autres Danes. Il faut donc que le peuple sache
la vérité. Qu’il apprenne que le roi est en vie, qu’il a marché parmi ses
ennemis et qu’il les a ridiculisés.
— Et qu’il en est sorti avec le nez en sang et un
coquard.
— Tu ne le diras point, pas plus que tu ne parleras de
cette pauvre femme qui m’a frappé de son anguille. Nous devons donner espoir
aux hommes, Uhtred. Et au printemps, cet espoir fleurira en victoire. Souviens-toi
de Boèce, Uhtred, souviens-t’en ! N’abandonne jamais espoir.
Alfred croyait que Dieu le protégeait, qu’il pouvait marcher
parmi ses ennemis sans peur ni péril, et d’une certaine façon il avait raison, car
les Danes avaient abondance d’ale, de vin de bouleau et d’hydromel, et étaient
bien trop ivres pour se soucier d’un homme avec des bleus au visage et une
harpe brisée sous le bras.
Personne ne nous empêcha d’entrer dans le domaine royal, mais
six gardes à cape noire étaient postés à la porte du château et je refusai qu’Alfred
s’en approche.
— Il leur suffira de jeter un œil sur votre visage en
sang pour terminer ce que les autres ont commencé.
— Laisse-moi au moins aller dans l’église.
— Vous voulez prier ? ironisai-je.
— Oui.
— Si vous mourez ici, dis-je, tentant de le retenir, Iseult
mourra.
— Ce n’était pas mon idée.
— Vous êtes le roi, non ?
— L’évêque pensait que tu rejoindrais les Danes, et les
autres en sont convenus.
— Je n’ai nul ami chez les Danes. Ils étaient vos otages
et ils sont morts.
— Alors je prierai pour leurs âmes païennes, dit-il.
Il se dégagea et alla à la porte de l’église, rejetant
machinalement son capuchon pour témoigner son respect. Je le lui remis d’autorité.
Il ne résista point mais poussa la porte et fit le signe de croix.
L’église servait de dortoir pour les hommes de Guthrum. Il y
avait des paillasses, des tas de cottes de mailles et d’armes, et
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