Le quatrième cavalier
encore, les meilleurs devaient se trouver dans
l’enceinte. Ce chiffre donnerait à Alfred une idée de l’ampleur de l’armée de Guthrum.
Deux mille hommes ? Et ailleurs en Wessex, dans les villes qu’occupaient
les Danes, il devait s’en trouver un millier de plus. C’était une puissante
armée, mais pas assez pour s’emparer de tout le royaume. Elle devrait attendre
des renforts du Danemark ou des trois royaumes conquis d’Anglie. Je retournai
au moulin au crépuscule… Tout ce que je voulais, c’était un peu de chaleur :
Alfred avait pris le risque d’allumer un feu, car de la fumée s’échappait du
toit.
Tous étaient accroupis devant, et je les rejoignis en
tendant les mains vers les flammes.
— Deux mille hommes, plus ou moins, dis-je. (Personne
ne répondit.) Ne m’avez-vous point entendu ? demandai-je en les regardant.
(Ils étaient cinq. Seulement.) Où est le roi ?
— Il est parti, se désola Adelbert.
— Quoi ?
— Il est parti à la ville, expliqua le jeune prêtre.
Il portait la riche cape bleue d’Alfred et je compris qu’ils
avaient échangé leurs vêtements.
— Tu l’as laissé partir ?
— Il a insisté, se justifia Egwine.
— Que pouvions-nous faire ? demanda Adelbert. Il
est le roi.
— Il suffisait de l’assommer, bien sûr, grondai-je. Et
de le tenir jusqu’à ce que sa folie lui passe. Quand est-il parti ?
— Juste après vous, avoua le prêtre, tout penaud. Et il
a emporté ma harpe.
— Quand a-t-il dit qu’il rentrait ?
— Avant la nuit.
— Elle est tombée. (Je me levai et piétinai le feu.) Vous
voulez alerter les Danes ? (Je doutais qu’ils viennent, mais je voulais
que ces sots pâtissent.) Toi, dis-je à l’un des soldats, va étriller et nourrir
mon cheval.
Je retournai à la porte. Les premières étoiles brillaient et
la neige scintillait sous le clair de lune.
— Où allez-vous ? me demanda Adelbert.
— Chercher le roi, évidemment.
S’il était en vie. Sinon, Iseult était morte.
Je dus tambouriner à la porte ouest de la ville avant qu’une
voix irritée me demande qui j’étais.
— Pourquoi n’es-tu point sur les remparts ? répondis-je.
On souleva la barre et la porte s’entrouvrit. Un visage parut
et recula quand je poussai violemment le battant.
— Mon cheval boitait et j’ai dû rentrer à pied.
— Qui es-tu ? demanda l’homme en refermant la
porte.
— Un messager de Svein.
— Svein ! À-t-il pris Alfred ?
— C’est à Guthrum que j’annoncerai la nouvelle avant de
te la dire. Où est-il ?
Je n’avais nulle intention de m’approcher du chef dane. Après
mes insultes à sa mère défunte, tout ce que je pouvais espérer était la mort, et
celle-ci serait fort lente.
— Dans le château d’Alfred. De ce côté de la ville. Il
te reste encore à marcher.
Il ne lui vint pas à l’esprit qu’aucun messager de Svein n’aurait
traversé le Wessex seul. Il avait trop froid pour réfléchir, et avec mes longs
cheveux et mes bracelets, j’avais l’air d’un Dane. Il rentra dans une maison où
ses camarades et lui se réchauffaient autour d’un âtre. Je poursuivis mon
chemin dans cette ville devenue étrange. Des maisons avaient disparu, réduites
en cendres par l’assaut des Danes, et la grande église du marché, près de la
colline, n’était plus qu’un amas de poutres noires blanchies par la neige. La
boue des rues était gelée et je marchais seul, car le froid retenait tout le
monde dans les dernières maisons où j’entendis rires et chants. De la lumière
filtrait par les volets, j’avais froid et j’étais en colère. Il y avait ici des
hommes qui pouvaient me reconnaître, d’autres qui pouvaient reconnaître Alfred,
et sa sottise nous mettait l’un et l’autre en péril. Avait-il été assez sot
pour se rendre à son château ? Il devait deviner que Guthrum y avait élu
ses quartiers et ne voulait sûrement pas être reconnu par le chef dane. Il
devait donc se trouver quelque part en ville.
Je me dirigeais vers la taverne de l’Épi quand j’entendis de
grands cris. Ils provenaient de l’est et je suivis le bruit, qui me mena à un
couvent près des remparts. Je n’étais jamais entré en tels lieux, mais la porte
était ouverte, et dans la cour je vis deux grands feux. Une centaine d’hommes
beuglaient encouragements et insultes à deux combattants qui luttaient dans la
boue et la neige fondue entre les feux, armés d’épées et
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