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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Noël 1166 puis, comme ce fut le cas à de nombreuses reprises par le passé, nous embarquâmes pour le continent. Seul un œil averti aurait pu s’étonner du nombre de ses malles. Il n’y en eut pas.
    Tandis que lentement le navire se détachait du bord, Henri demeura au quai, les mains nouées au pommeau de sa selle, les yeux rivés sur sa reine, appuyée dignement au bastingage. Duel de regards. Pas un ne le baissa. Je me tenais à quelques pas d’elle, en retrait, douloureuse moi aussi jusqu’en l’âme. Laissant s’éloigner les rives d’une terre pour laquelle je m’étais battue. D’une alliance que j’avais nouée. Une écharpe de brouillard flotta, puis s’intensifia brusquement, effaçant le port. Comme Henri, il ne reparaîtrait pas. Aliénor resserra son col de fourrure. Tendit sa main gantée vers l’arrière. Sans hésiter je vins y nouer mes doigts. Une corne de brume lança son dernier appel dans le velouté humide.
    Un long sanglot y répondit, qui précipita Aliénor dans mes bras.

39
     
     
    L ’hiver qui suivit s’accorda à la décision d’Aliénor.
    Prétextant des relevailles difficiles, elle vint se réfugier en Blaye avec ses enfants et quelques proches. Pour autant, et malgré fort peu de mangeaille, elle ne se referma pas sur elle-même. Elle insista pour redécouvrir le lieu qui s’étirait mollement le long de l’estey de la Gironde. La ville haute, accrochée au flanc gauche du castel sur l’éperon rocheux et qui descendait en pente douce vers sa jumelle, hors les murs d’enceinte, sur l’autre rive de la petite rivière Saugeron. Le port à son embouchure, dans lequel s’échouaient les barques à marée basse. L’abbaye Saint-Sauveur avec, en face, au pied du castel, celle de Saint-Romain. Leur petit marché journalier. Les bords d’eau piqués d’ajoncs. Les vignes qui se déversaient des mottes alentour en troncs noueux. Les échoppes, nombreuses, ouvertes en les façades de pierre. Là un maréchal-ferrant, ici un maraîcher, plus loin encore un poissonnier dont les anguilles s’agitaient dans des panières d’osier, au pied des étals d’esturgeons ou d’aloses. Un rouleur de barrique qui, malgré le froid, donnait spectacle pour vanter la solidité des fûts de son cousin, tonnelier. Ici encore, une taverne près d’un négociant en vins. Et, au pied de la falaise, la longue rangée des gabariers qui appelaient à la remontée du fleuve vers Bordeaux, des chariots emplis de bois pour le chauffage, de fourrage pour les bêtes. Le tout dans l’agitation simple et évidente des gens qui vaquaient. Elle fut heureuse de voir combien Jaufré était aimé, compréhensif envers les plus démunis dont il voulait ignorer le braconnage, bienveillant envers les abbés et leurs œuvres, soucieux des malades et attentif à rendre justice.
     
    Avec ces exercices journaliers qu’elle reprit pour redessiner au plus tôt sa silhouette, je savais qu’elle construisait sa vengeance. Pour la conforter, elle se nourrissait, comme autant de coups de poignard en plein cœur, des nouvelles que ses espions rapportaient d’Angleterre ou de Normandie. Si Henri avait eu quelques scrupules du temps qu’elle était à ses côtés, il les avait chassés dès les jours suivant notre départ d’Angleterre, imposant sa maîtresse à la cour, ignorant tout de la fourberie de celle qu’on aimait, jalousait ou désirait déjà. Rosamund fut élevée à ce rang avec le même élan bienveillant qu’hier. Et plus encore. Qui était son ami devenait celui du roi.
    Rosamund en usait à l’envi, cultivant avec un talent inégalé l’image qu’elle avait créée d’elle. Ne semblait-elle pas, parfois, prise de remords d’occuper une telle place au cœur d’Henri ? Elle souffrait tant de l’idée qu’Aliénor en soit meurtrie. Et, cependant, seigneur Dieu, qu’y pouvait-elle ? Elle s’était éprise de lui comme lui d’elle. Privilège de jeunes corps, douceur de jeunes gens. Elle refusait de penser que la reine lui en veuille, elle dont l’automne, déjà, étouffait le printemps. Pensez donc ! Quarante-cinq ans. D’autres déjà, au même âge, frôlaient le tombeau ! Pour ajouter à ces dires et faisant notre chagrin, quelques-unes, à peine plus vieilles que nous, s’éteignirent brutalement, ne laissant auprès de cette Rose immonde que de jeunes louves au sourire aussi croquant que le sien.
    « Rira bien qui rira la dernière ! » grinçait Aliénor entre

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