Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
Vom Netzwerk:
ma posture, au teint d’Aliénor et au sanglant des linges dans le baquet, des efforts que ma fille développait. Il en blêmit plus encore. La releva d’une main tremblante.
    — Je te vois aussi savante que ta mère, Eloïn. J’en suis rassuré.
    Il tourna aussitôt la tête vers moi, toujours liée à ma reine.
    — Que s’est-il passé ?
    — Nous l’ignorons, Votre Majesté, répondit Eloïn à ma place.
    — Prise de faiblesse, elle m’a fait mander. Le temps de la soutenir jusqu’à ces draps et elle les couvrait de sang, ajoutai-je.
    Henri chercha une autre réponse en mes yeux. Je refusai de la lui donner. Si Aliénor le jugeait utile, elle s’en chargerait elle-même. Pour l’heure, connaissant les intentions de Rosamund, mieux valait jouer de prudence.
    Henri s’accroupit sur l’opulent tapis qui servait de descente de lit. D’un geste tendre, il caressa la joue de son épouse, n’obtint qu’une crispation des paupières qu’elle avait refermées.
    — Je suis à vos côtés, ma mie. Tendrement à vos côtés.
    Sa voix fut salutaire à la reine. Alors qu’elle demeurait en ces limbes sans plus l’envie d’en revenir, elle sursauta sur la couche, comme si, soudain, entre ses omoplates, un insecte l’avait piquée. Elle tourna la tête, planta dans celles de son époux deux prunelles de jais.
    — Vous êtes la dernière personne que je veux voir à mes côtés, Henri.
    Il manqua de souffle. Prisonnier de cette haine soudaine. Aliénor pointa un index tremblant vers la porte.
    — Sortez…
    Sa fougue retomba sur l’oreiller, lui laissant pourtant aux joues de nouvelles couleurs. Henri hésita. Leva vers moi son visage défait. Je hochai la tête pour le contraindre à obéir. Il se redressa. Aliénor gardait souffle court, haché. Elle grinça, les yeux rivés cette fois sur le pan de mur refermé.
    — Et dites à votre catin de ne pas se réjouir trop vite. J’ai bien l’intention de garder, à défaut d’amour, cette couronne que vous m’avez donnée.
    Il ne prit pas la peine de répondre. Il avait suivi son regard et accroché, comme une sentence, les traînées de sang qui revenaient du passage secret. Il tourna les talons, acculé. Aliénor ne l’avait invité dans les bras de Rosamund que pour mieux vérifier s’il s’y vautrerait. Comment avait-il pu oublier ce couloir entre leurs deux chambres ? Comment n’avait-il pas deviné la manœuvre lorsque Rosamund lui avait parlé de caché-trouvé ? Fallait-il qu’à ce point il l’ait sous-estimée ? Elle, la plus intelligente des femmes qu’il avait rencontrées. Il traîna son pas lourd jusqu’à la porte.
    Dans sa brusquerie, Aliénor avait fait sauter le roseau, m’obligeant sur-le-champ à ôter mon bout et à presser mon index sur la veine percée. Je devrais attendre quelques minutes avant de pouvoir me lever sans vaciller. Elle, visiblement, avait repris des forces de ce sang frais. Elle n’attendit pas qu’Henri soit sorti. Elle plaqua ses mains sur son ventre avant d’exploser.
    — Qu’on m’arrache cet enfant si je ne puis moi-même l’expulser. Il ne m’en viendra pas d’autre, alors tailladez, mesdames, tailladez ! Vous n’en aurez aucun mal. Je suis déjà entraillée par mon époux !
    Henri fit volte-face, effrayé autant de cet implacable souhait que de l’accusation qu’elle lui portait. Elle le défia du menton, un rictus cruel aux lèvres. Arrêta d’un geste de la paume le mouvement d’Eloïn vers un coustel.
    — Un instant, ma filleule… Revenez à moi mon cher, si cher mari.
    Henri sentit une sueur froide lui perler les reins. Lui, dont le courage exemplaire lui avait toujours fait regarder la mort en face, lui, capable de tout souffrir sans un seul gémissement, eut soudain envie de fuir à toutes jambes. Lâche. Oui. Pour la première fois de sa vie, face à cette femme hors norme et à son cynisme affirmé, il se sentit lâche. Le comprenant, elle adoucit légèrement son timbre :
    — Allons. Approchez.
    — Aliénor, le temps presse.
    — Ne te mêle pas de cela, Loanna. C’est entre lui et moi. Qu’il répare ce qu’il a fait.
    Henri en trembla plus encore. Mais moins que moi, en vérité. Il s’acquitta pourtant de ses ordres, emmuré dans un silence que je ne lui avais jamais vu auparavant. Un silence plombé de culpabilité.
    — Votre épée, Henri. Donnez-la à la petiote, qu’elle la porte aux flammes.
    Il obtempéra. De nouveau je ne pus

Weitere Kostenlose Bücher