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Le règne des lions

Le règne des lions

Titel: Le règne des lions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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m’empêcher d’intervenir :
    — C’est folie, Aliénor.
    — Tais-toi !
    Je me tus. Etait-ce ce sang de féerie que je lui avais donné qui l’emplissait d’une telle force, d’une telle superbe ? Eloïn semblait confiante, s’activant à rougeoyer le fil de la lame dans la cheminée. Je me repoussai contre le dossier de la chaise. Lasse. J’étais lasse soudain. Advienne que pourrait.

38
     
     
    —  D énudez-moi le bas-ventre, Henri.
    Face à la détermination de son épouse, le roi repoussa les draps. Se racla la gorge.
    — Que voulez-vous que je fasse, Aliénor ? Je risque de vous tuer, vous et l’enfant…
    Elle ricana méchamment.
    — En ce qui me concerne, c’est déjà fait, et je refuse les remords que vous en avez. Pour l’enfant, par contre, il me convient assez que vous portiez le poids de vos péchés. Vous avez su le mettre, vous le retirerez.
    Eloïn revenait avec l’épée. Elle la lui tendit par la garde. Henri puisa loin, très loin en lui ce courage qui lui faisait défaut. N’avait-il pas, eh Ecosse, alors qu’il guerroyait contre Owain Gwynedd, vidé de même le ventre d’une inconnue, tuée dans sa maison par ses guerriers au moment de ses couches ? Henri se souvint des doigts qui avaient agrippé sa manche, tandis qu’il se détestait de ce carnage inutile. Un souffle de vie. Quelques mots. On avait dû les lui traduire. « Finissez le travail. » Il l’avait fini. Avait confié l’enfant arraché aux entrailles à une nourrice d’un village voisin. Aliénor connaissait l’histoire. Il la lui avait racontée entre la fierté et la honte. Entre la fierté et la honte, se répéta-t-il. Il prit l’épée. Lança un dernier regard à son épouse au calme inquiétant. S’enquit :
    — Ne voulez-vous quelque médication pour vous étourdir ?
    — Cessez de tergiverser, Henri. La lame refroidit.
    Il suivit des yeux les doigts d’Eloïn dessiner une ligne imaginaire et transversale sur la peau tendue. A trois doigts au dessus du pubis. Son cœur s’emballa dans sa poitrine. Le mien aussi, malgré cette faiblesse qui me rivait à la chaise. Henri fléchit sur ses jambes, les tétanisa comme avant un combat, inspira largement pour pouvoir mieux retenir son souffle, tuer le tremblement de ses mains sur le pommeau. Il comprit qu’Aliénor lui reprocherait davantage sa couardise que la mort de l’enfant. Il était le roi. Le devait rester à ses yeux. Là, et là seulement, serait son pardon.
    De la pointe effilée, il incisa la peau. Aliénor serra les dents, referma ses poings sur le drap mais ne bougea pas. Henri suait à grosses gouttes. Je me sentis rapetisser sur mon siège. Ensanglantée de nouveau, Aliénor tenait bon dans ce combat pour l’honneur.
    — On y est presque, annonça Eloïn.
    Dans sa lancée et d’un second passage, Henri entailla la masse graisseuse, puis la membrane souple qu’il trouva au-dessous. Des images lui revenaient, guidant le fil. Pendant qu’Eloïn épongeait la saignée, il posa l’épée, se savonna les mains, les rinça soigneusement puis revint vers Aliénor, muette, livide. Sans plus attendre cette fois, il enfonça deux doigts à l’intérieur de la plaie pour écarter les muscles, ignorant l’imperceptible gémissement que lui concéda sa femme. Un nouveau tissu apparut. Ce fut Eloïn cette fois qui le transperça puis, à pleines mains, qui maintint les chairs en écartèlement. L’enfant était au-dessous. Dans une poche blanchâtre et mobile, injectée de sang. Henri récupéra le stylet qu’Eloïn avait préparé. Ne pas se tromper d’épaisseur. Un simple trait, par le travers. Du sang gicla de nouveau sur la lame. Il la posa sur la courtepointe, acheva la perforation d’un index affermi jusqu’à ce qu’il s’inonde de liquide. Le haut du crâne se dessina enfin. Henri redressa la tête, trouva le regard confiant d’Eloïn en face de lui. Elle lui sourit. Il ferma les yeux. Enfonça sa main, impulsa délicatement.
    — Ouiiiii, gémit Aliénor de soulagement.
    La tête jaillit dans la paume ensanglantée d’Henri, puis le reste du petit corps.
    — Un garçon. C’est un garçon, ma mie.
    Des larmes ruisselèrent sur ses joues, tandis qu’il fixait dans ces deux mains ouvertes ce petit être, bleui, chétif, mais vivant. Il venait de donner naissance à son fils. Mais plus encore. Il venait de sauver son épouse. Au sourire cynique qu’elle lui adressa, il en comprit la symbolique. Entre le

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